Le confinement a entrainé avec lui des situations répressives inédites, ubuesques et absurdes, illégales et anticonstitutionnelles selon de nombreux avocats pénalistes. Nous nous sommes entretenus avec une avocate pénaliste, Chloe Chalot, pour faire le point sur toutes ces questions.
***
Une femme a été verbalisée devant l’EHPAD de son mari alors qu’elle lui parlait à la fenêtre, ailleurs ce sont des SDF et à Rouen il a été reproché à une mère de sortir acheter des couches quand elle aurait pu utiliser un torchon selon les policiers. Comment expliquer les absurdités des verbalisations pour violation du confinement ? Quelle est la marge de manœuvre du policier dans l’interprétation du texte ?
La marge de manœuvre des forces de l’ordre est énorme s’agissant de cette infraction et c’est bien tout le problème. Le texte de loi prévoit les exceptions autorisant des déplacements ponctuels hors de chez soi (les fameuses cases à cocher sur l’attestation de déplacement éditée par le gouvernement). Ces exceptions sont toutefois décrites en des termes très généraux qui peuvent représenter un nombre infini de situations qui ne sont pas listées précisément par la loi. Qu’est-ce qu’un achat de première nécessité ? Qu’est-ce qu’un motif familial impérieux ? Pourquoi acheter des couches pour son enfant ne serait pas un achat de première nécessité ? Pourquoi se rendre au chevet de son père mourant ne serait pas un motif familial impérieux ? Comme rien n’est vraiment défini, ce sont les policiers et gendarmes qui décident ce qui est autorisé et ce qui ne l’est pas lors des contrôles et qui, de facto, se retrouvent à faire la loi. Or, ils doivent normalement uniquement faire appliquer la loi, pas la créer de toute pièces, et selon des critères qui défient parfois toute logique. Ainsi, c’est le texte de loi lui-même qui permet les abus et leur ouvre la porte, en donnant toute latitude aux forces de l’ordre pour déterminer qui est légitime à se trouver dans la rue et qui ne l’est pas.
Au-delà de la question de l’interprétation par les forces de l’ordre des motifs de sortie, des témoignages rapportent qu’elles ajoutent parfois des conditions non prévues par la loi, comme le fait de remplir son attestation au stylo et non au crayon papier ou de faire ses courses dans un délai d’une heure. Il faut strictement s’y opposer, ces conditions ne sont pas légales.
Que risquerait une personne sortant de chez elle sans attestation ?
Toute personne méconnaissant “ l’obligation de se munir du document justifiant d’un déplacement autorisé ”, c’est à dire étant dans l’espace public sans aucun justificatif, est susceptible de se voir sanctionnée d’une amende de 135 € à la première verbalisation et de 200 € à la seconde. Néanmoins, c’est ubuesque et difficile à entendre pour la juriste que je suis que la seule rédaction d’une attestation à soi-même suffise à être en règle aux yeux de la loi. Quelle est la différence entre déclarer oralement au policier « je vais au supermarché » et l’écrire à l’avance sur un bout de papier ? Il est parfaitement absurde que la première personne risque une contravention et que la seconde soit parfaitement en règle, alors que leurs situations sont factuellement identiques et que se signer un papier n’a jamais constitué une preuve régulière en droit français.
Grande nouveauté, la répétition du “non-respect répété de l’interdiction de déplacement” devient un délit après plusieurs verbalisations. Plusieurs personnes ont d’ailleurs été incarcérées. Mais le tribunal correctionnel de Rennes a relaxé une personne poursuivie pour cette infraction et a suivi les arguments de l’avocat selon lequel ce délit serait illégal. Pourrait-on savoir pourquoi exactement ?
Ce délit, adopté à la va-vite par le gouvernement pour accentuer l’autorité de l’ordre de confinement et réprimer avec vigueur ceux ne s’y conformant pas (concrètement, les renvoyer en comparution immédiate), pose un nombre incommensurable de problèmes juridiques. Nous sommes un grand nombre de professionnels du droit à penser qu’il est inconstitutionnel en ce qu’il ne respecte pas plusieurs principes cardinaux. La présomption d’innocence en particulier, puisqu’au moment où il est reproché à une personne d’être sortie une quatrième fois de chez elle sans motif légitime, les verbalisations précédentes ne sont pas devenues définitives. En pratique, cela signifie qu’elles sont encore contestables, le délai pour exercer un recours et s’opposer aux amendes étant toujours en cours. Puisqu’elles sont encore contestables, la personne verbalisée est présumée innocente ; on ne peut donc retenir contre elle les trois premières sorties sans motif, pourtant exigées pour constituer le délit. Mon Confrère Raphaël Kempf a déposé une question prioritaire de constitutionnalité, contestant la conformité de ce délit à plusieurs grands principes à valeur constitutionnelle (tous les détails sur les arguments juridiques exposés dans une interview sur le site Lundi matin. Depuis, plusieurs autres recours identiques ont été déposés devant d’autres tribunaux correctionnels qui ont également décidé que la question était sérieuse et l’ont transmise à la Cour de Cassation. Nous sommes actuellement en attente des suites.
Une autre difficulté juridique, confirmé par le jugement de relaxe du tribunal correctionnel de Rennes, résulte de l’inscription des contraventions dans un fichier qui n’est pas prévu à cette fin mais pour recueillir les infractions au code de la route ! Le fichier a ainsi été complètement détourné de son usage légal. En urgence, le gouvernement a voulu rectifier le tir et a prévu par arrêté du 16 avril que les verbalisations pour non-respect du confinement pourraient désormais y être inscrites. Néanmoins, les verbalisations antérieures inscrites dans ce fichier sont à mon sens illégales.
Dernière remarque, il est parfaitement absurde que le gouvernement ait souhaité que ce délit soit puni d’une peine d’emprisonnement à l’heure où il est urgent de vider les prisons françaises, véritables foyers de contamination en puissance au vu des taux de surpopulation carcérale, des conditions d’incarcération et d’accès au soin.
Quels sont les recours dont disposent les personnes qui voudraient contester une amende ?
Comme pour les contraventions de stationnement ou de participation à une manifestation interdite, il faut attendre de recevoir par voie postale l’avis d’amende et suivre la procédure de contestation indiquée au verso, sans régler l’amende. Le règlement empêche toute contestation ultérieure, il ne faut donc surtout pas la payer. La contestation peut se faire personnellement ou par l’intermédiaire de l’avocat de son choix. J’encourage vivement les personnes verbalisées de façon abusive à contester les amendes reçues.