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Le Marais – Une gigantesque occupation pour les exilés et la convergence des luttes à Caen

Sophie Anderson

Experts en cybersécurité et journalistes spécialisés dans le domaine de la technologie.

MIS À JOUR: 31 mars 2023

Le samedi 28 avril, à Caen, au 5 rue du Marais, a été officialisé l’ouverture d’un immense squat. Les bâtiments, anciens locaux d’EDF, ont été ouvert par l’AG de Lutte Contre Toutes les Expulsions rejointe par l’Initiative pour la Convergence des Luttes, des syndiqués et autres précaires. Des envoyés spéciaux Rouen dans la rue sont allés à la rencontre de quelques occupants lundi 8 mai alors qu’une kermesse et un tournoi de pétanque (très serré) était organisés sur place. Retranscription de l’interview récolté sur place :

Dans quel contexte et par qui le Marais a-t-il été occupé ?

Ça fait 5 ans sur Caen que l’AG de lutte contre toutes les expulsions ouvre un certain nombre de squats d’habitation pour les exilés. La logique squat, pas tant pour les militants que sur la question migratoire, c’est quelque chose de bien installé. Ces pratiques-là sont bien ancrées localement. A coté de ça, il y a la nécessité de construire des espaces collectifs pour construire une connexion entre les différents foyers de lutte. 

Toutes les personnes en lutte sur Caen le ressentent comme une nécessité. Il y a des groupes assez différents qui travaillent dans ce sens là. Via l’ICL (l’initiative pour la convergence des luttes) ça fait un moment que l’on rencontre un certain nombre de syndicalistes combatifs en rejoignant les piquets de grève et en leur apportant un soutien matériel. Et inversement, en discutant avec eux, ils rencontrent aussi cette nécessité de construire d’autres espaces qui soient indépendants des syndicats pour construire ces formes de convergence. La difficulté qui se présente, c’est que l’on avait pas d’espace pour cela.

Il y a un lieu qui est loué depuis un an sur Caen qui se nomme la Pétroleuse, qui espère avoir cette vocation la. Mais c’est moins évident de se retrouver là bas, c’est moins bien placé que le Marais occupé, et c’est déjà un lieu constitué. Là, ce que l’on essaye de faire et qui donne de la force, c’est de le construire ensemble. On ne l’a pas ouvert, nous de notre côté, ou pas l’AG de lutte de son côté, ou pas les syndiqués de leurs côtés, mais on l’a ouvert ensemble avec les complicités déjà tissées au cours des mouvement sociaux. Et c’est de là que certains syndiqués ont partagé l’information d’un bâtiment prenable à tel endroit. L’AG de lutte s’en est tout de suite ressaisie. Et c’est ça qui a donné de la force à l’ouverture de ce lieu.

Du côté des autorités, un huissier est passé et a pris trace de l’occupation. On attend une décision potentielle du tribunal. D’expérience, on est assez confiant. Ça ne durera sûrement pas des milles et des cents, mais à minima on table sur quelques semaines voir quelques mois. On a vu des squats sur Caen parfois tenir 2 ans. La présence de nombreuses familles d’exilés pèsent aussi dans la balance, parce que ce n’est quand même pas rien que de les virer. Ça rend plus délicat toute opération de la préfecture.

Quelle est la réaction des appareils syndicaux à l’égard de cette initiative ?

L’UD en tant que tel, on n’a pas vraiment de retours. Mais plusieurs Unions Locales sont vraiment partantes. Les cheminots sont à 500 mètres d’ici avec la gare, là où ils font leurs AG. Des syndiqués du rail qui viennent faire leurs banderoles, il y en avait encore ce matin. Même si ce n’est pas encore des centaines de syndiqués en AG, les centrales syndicales n’ont pas dissuadé leur base de venir en tous cas.

Au 1er mai, un forum des luttes a été organisé et avait comme ambition de visibiliser l’ensemble des luttes, nombreuses, qu’il y a en ce moment sur Caen. Ça a été assez génial de voir ça, il y avait vraiment pas mal de mondes. La CGT et Solidaires sont venus fait leur barbecue ici. On pourrait considérer ça comme anecdotique mais au vue de l’importance qu’ils accordent au barbecue, on peut considérer ça comme un geste important. Ils l’ont fait dans un squat, et c’est quand même pas rien.

Comment s’est déroulé le premier jour d’occupation ?

L’officialisation du Marais a eu lieu le samedi 28 avril. Ce qui était vraiment propice, c’est qu’un rassemblement était organisé devant la gare en soutien aux cheminots. Un cortège est parti de là-bas pour venir appuyer l’ouverture du lieu, à 500 mètres de là. Ça a illustré dès le début ce qu’était l’objectif politique de ce lieu-là. Ça a été bien reçue et le lieu a bénéficié d’une publicité immédiate auprès des travailleurs qui sont en grève.

Ce qui a joué aussi c’est que l’initiative était beaucoup porté par l’AG de lutte contre toutes les expulsions. L’occupation venait répondre aux besoins des exilés qui vivent habituellement dans des conditions indécentes, et aussi à la volonté de mettre des luttes en commun. Il y a évident l’affect chrétien de charité qui traverse l’AG, ce n’est pas une mauvaise chose, mais aujourd’hui elle tient aussi des positions clairement anti-capitalistes et se place dans une perspective de destitution des politiques frontalières et de la répression qui accompagne des mouvements migratoires. Ça a été une expérience politique collective vraiment intéressante qui a beaucoup d’efficacité sur Caen : les squats tiennent, ça ramène du monde, quand ils organisent des manifs ça ramène plusieurs milliers de personnes parfois. Il y a parfois plus de monde aux manifs de l’AG de lutte contre toutes les expulsions que sur des journées de grève à l’appel de la défense du service public.

Cette expérience là est assez révélatrice de ce qui est possible localement, même dans des petites villes, et qui produit des choses vraiment intéressantes. En faisant de ce lieu là à la fois un lieu d’hébergement des migrants et de convergence des luttes, ça fait apparaître aux yeux de tout le monde que c’est la même politique, que c’est la même merde qui pousse les gens à fuir leur pays ou que d’autres y vivent des attaques sociales qui détruisent leurs vies. On arrive à visibiliser ce qu’il y a de commun dans ces luttes et mettre un mot sur ce à quoi elles font face : l’économie.

Concrètement, comment s’articulent ces différents fronts de lutte au sein de l’organisation du lieu ?

Il y a deux types d’assemblées au sein du Marais. L’une concerne la gestion du lieu notamment par rapport à la question de l’hébergement de migrants : de quoi on a besoin comme matériel ? Où loge-t-on telle ou telle famille ? Et puis il y a l’assemblée de convergence qui organise le programme du lieu, qui propose des activités etc.

Lors du forum des luttes du 1er mai, c’était aussi l’occasion de discuter des mots d’ordre commun et d’envisager des actions communes. Par exemple, la semaine dernière les cheminots ont fait une action de blocage du péage. Ici, ils ont trouvé du monde pour les aider.

Les AG inter-professionnelles à Caen ont été parfois intéressantes mais aussi souvent calamiteuses. On se tourne donc vers des formes plus diffuses de soutien et cela peut passer par l’organisation de concerts de soutien, par du passage régulier sur des piquets de grève et de contribuer à leur soutien matériel immédiat. On se rend compte que c’est primordial car avant ça les gens ne se connaissaient pas et maintenant des liens de confiance se tissent, et sur le long terme c’est vraiment crucial pour continuer à lutter ensemble.

Via cette occupation, on réinterroge notre rapport à la grève. Bien souvent on se retrouve dans l’exercice comptable de qui est mobilisé, quel est le taux de grève, combien de personnes sont présentes dans l’espace syndical de la manifestation qui selon nous est disciplinaire, codé et ne laisse pas de place au moindre surgissement. Expérimenter des logiques de squats, d’occupations, en les démystifiant, affirmer que de fait ce sont des pratiques ré-appropriables et totalement légitimes déplace la logique habituelle de la grève. De là, elle se mesure plutôt sur le niveau d’auto-organisation collective dans la vie quotidienne.

Il y a pas mal de gens qui passent, notamment des syndiqués, et qui reste ici jusque tard le soir. On s’aperçoit qu’ils ne sont pas là uniquement pour des raisons militantes mais aussi parce que ça leur plaît d’être là. L’occupation du lieu n’est pas une fin en soi parce qu’elle est tournée vers l’extérieur mais avoir cette expérience de vie collective en ce joli mois de mai, c’est déjà quelque chose d’émancipateur.

Le programme du lieu sur https://agcontrelesexpulsions.wordpress.com/

À propos de l'auteur

Sophie Anderson

Experts en cybersécurité et journalistes spécialisés dans le domaine de la technologie.