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Rouen Madrillet Innovation : 60 hectares de forêt massacrés pour un site dédié aux éco-technologies

Sophie Anderson

Experts en cybersécurité et journalistes spécialisés dans le domaine de la technologie.

MIS À JOUR: 21 mars 2023

andes silicicoles rasées, lézard des souches menacé, érosion de la biodiversité et disparition des espaces de promenades : l’innovation selon les gestionnaires.

Massacre à la tronçonneuse et aux bulldozers

La métropole et la mairie de Saint-Etienne du Rouvray, dans la banlieue sud de Rouen, ont lancé un projet qui va profondément s’attaquer à la forêt du Madrillet : au moins 60 hectares de forêt seront abattus et bétonnés. Les travaux ont déjà commencé (cf. photos en bas de l’article).

Dans un style réservé aux investisseurs, l’agence de développement économique de Rouen s’enthousiasme : « Rouen Madrillet Innovation est dédié à l’implantation d’entreprises innovantes spécialisées dans les écotechnologies ». Il s’agit de « s’inscrire dans l’objectif de compétitivité par l’innovation afin de répondre aux grands défis économiques, environnementaux et sociétaux du 21ème siècle ».

Même son de cloche du côté de la mairie qui n’hésite pas à parler d’un « technopôle dédié à la transition écologique et à l’écoconstruction. » Il est vrai qu’elle communique très peu sur le sujet. Bétonner au nom de l’écologie, la ficelle est un peu grosse.

Les concepteurs du projet ont vu les choses en grand. Au cœur de ce projet de 200 ha, on trouve aussi un nouveau quartier situé sur un terrain triangulaire situé au pied du terminus de la T4 appelé « We Hub », il comptera un hôtel, des restaurants, une crèche, des bureaux, et même une salle de sport. C’est au tour de Christèle Morin-Deforceville, directrice du département direction économique de la Métropole, et de Morgan Delauney, directeur du projet We Hub à RNA (Rouen Normandie Aménagement) de s’enflammer dans l’un des rares articles sur le sujet :

« Il y a une volonté de créer un grand parc d’activité et un véritable campus à l’américaine ».

La même novlangue branchée et pseudo-moderne des gestionnaires et des promoteurs accompagne le projet. La tactique est courante, elle a même un nom tout aussi ronflant : le greenwashing, ou comment enrober la déforestation et la bétonisation de prétentions écologiques ?

Peu de journaux ont parlé de ce projet jusqu’à maintenant. Enquête sur une destruction programmée.

Notre drame des Landes, ou quand les éco-technologies détruisent le vivant.

Un « accélérateur d’éco-technologies ». C’est ainsi que ses promoteurs voient la zone d’activité du Madrillet, implantée sur la forêt du même nom, à Saint-Etienne-du-Rouvray. Mais ce qui va être accéléré ici par l’extension de ce « technopôle », c’est l’érosion de la biodiversité et la disparition des espaces de promenades péri-urbains.

Car plus de 60 hectares de forêt et de landes (1) se retrouvent aujourd’hui en proie à la déforestation et au bétonnage, aux portes de l’agglomération rouennaise.

La green-tech déforeste… mais pas trop !

L’Institut National des Sciences Appliquées y a construit son campus, suivi de l’ESIGELEC (2) et de nombreuses entreprises d’ingénierie aux activités plus ou moins verdoyantes : « Rouen Normandy autonomous Lab » développe et loue des véhicules autonomes.
Le tout cohabite tranquillement avec une colline de déchets industriels toxiques et radioactifs, mais pas trop (!) (3) déposés là de 1987 à 1992, alors que la production d’engrais chimiques battait son plein à Grand-Couronne.

La colline de phosphogypse
La colline de phosphogypse

Qu’importe, les élus et les promoteurs locaux comptent bien remplacer les 63 hectares de forêt qui l’entourent par une nouvelle vague de béton. Ce béton sera-t-il éco-technologique ? Produira-t-il de l’oxygène comme jadis les arbres avant lui ? Pas si sûr !

En lisant le règlement du Plan Local d’Urbanisme Intercommunal (PLUI) de la Métropole de Rouen, on peut lire, à propos de la zone concernée : « La zone se caractérise par l’importance des masses boisées qui seront conservées ou replantées. Les constructions s’intègrent dans un environnement forestier que les plantations nouvelles réalisées par chaque constructeur devront préserver et/ou amplifier. »

Les constructions pourraient donc « amplifier l’environnement forestier » en réalisant des plantations. On se demande bien comment faisait la forêt avant que l’homme n’accepte de venir y planter de nouvelles espèces bien plus jolies que les anciennes.

Bref ! Cette extension de la ZAC du Madrillet a tous les atours du projet éco-responsable, sans quoi il devient difficile aujourd’hui de déforester à coups de bulldozers des dizaines d’hectares.

Seulement, la zone où les entreprises ont prévu de s’implanter n’est pas une « simple forêt ». Celle-ci comprends des zones de landes silicicoles, c’est-à-dire une végétation poussant sur du sable.

Les milieux naturels dits « silicicoles » se retrouvent sur l’intérieur des boucles de la Seine, tant ce fleuve a charrié de sable au cours de son histoire. Mais ils sont vite devenus la proie des carriers tels que Lafarge, Cemex et consorts, qui ont ouvert leurs concessions partout où cela était possible.

Résultat : les landes sur sable ont fortement régressé dans toute la vallée de la Seine, et avec elles toutes les espèces animales qu’elles abritent.

C’est ainsi que certaines espèces comme le Lézard des souches (aussi appelé Lézard agile ou Lézard des sables) ne subsiste en Seine-Maritime que sur ce secteur de landes coincé entre le technopôle du Madrillet et la forêt de la Londe-Rouvray.

Le Lézard des souches, ou Lézard agile (Lacerta agilis)

Le Lézard des souches, ou Lézard agile (Lacerta agilis)

Dommage pour cette espèce dont l’habitat risque de se trouver une fois de plus grignoté par un projet d’aménagement, alors même qu’elle est protégée au titre de l’Arrêté du 19 novembre 2007 fixant les listes des amphibiens et des reptiles protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection.

Zone à défendre

Ces dernières années, de nombreuses luttes territoriales se sont construites à partir de la nécessité de s’opposer à des projets d’aménagement en tout genre : aéroport, barrage, centre de loisir, et maintenant une « technopole dédié aux éco-technologies ». Certains parlent de grands projets inutiles (GPI) mais nous préférons abandonner la notion d’utilité aux économistes. Il s’agit en tout de zones à défendre (ZAD) selon le détournement bienheureux de l’acronyme initial, la zone d’aménagement différé de Notre-Dame des Landes.

A Rouen comme ailleurs, il importe de mettre un point d’arrêt à l’avancée du désert. Le massacre a déjà trop duré.

Notes :
1 : type d’habitat naturel caractérisé par un sol pauvre en nutriments, et une végétation dominée par les arbrisseaux et les sous-arbrisseaux (Bruyères, Callunes).
2 : Société des Ingénieurs en Génie Électrique.
3 : déchet industriel issu de la production d’acide phosphorique (engrais chimique). Les principales substances toxiques présentes dans le phosphogypse sont l’acide phosphorique, l’acide fluorhydrique, le cadmium, le mercure, le fer et le zinc.
Quelques photos du désastre en cours. le pire est à venir :

À propos de l'auteur

Sophie Anderson

Experts en cybersécurité et journalistes spécialisés dans le domaine de la technologie.