Dans la rueEn lutte

CAEN - « Joyeuses insurrections 2019 à tous ! »

Les Gilets Jaunes caennais nous envoient ce doux récit de 6h d’émeutes dans la capitale basse-normande.

Vendredi blocage !

Comme les semaines précédentes le samedi de manifestation est précédé d’une action le vendredi soir pour donner le ton. Et celui-ci est sans appel, 100 personnes font le trajet vers 23h à Ouistreham, le port ferry de la Manche, à 15km de Caen. Là bas, l’objectif est de bloquer
l’embarquement des camions et de leurs marchandises.
Si les médias continuent à nous faire douter sur la détermination des gens il faut donc encore une fois se défaire de cette idée, pour qu’un tel nombre de personnes parte tard un vendredi soir pour une action de ce type, c’est que la mobilisation est loin de faiblir. Sur le port, la situation se tend rapidement et les gendarmes interviennent à coup de gaz. La colère est grande et on se promet que demain sera chaud.

Samedi manif !

Effectivement, les ambitions sont grandes pour ce samedi. Au rassemblement il y a du monde, 3000 personnes, et du monde d’équipé ! Après un petit sketch informatif, le cortège avance et grossit,
empruntant des chemins ignorés des manifestations syndicales. Si le cortège est festif et bruyant on sent pourtant quelque chose qui cloche, personne ne comprend où il est baladé, et c’est après une heure de marche qu’enfin on comprend qu’on se dirige vers le commissariat central ! Voilà qui est pour le moins inattendu, la foule se scinde en deux pour atteindre le commissariat de deux côtés. Les flics sont évidement de sortie et les groupes se regardent sans agir. Quelques marseillaises entonnées quelques promesses mais rien de plus. Ça tourne en eau de boudin et comme dirait un tract passé, il semblerai que des pacifistes en marge de la manifestation la fassent dégénérer…

Alors plutôt que ce stérile face à face on s’en retourne en ville pour « honorer les morts et les blessés ». Nous voici à la mairie, puis devant la préfecture où un vieux fasciste et ses chiens voulaient monter un coup de com ( il en sera pour ses frais en terme de com). À nouveau le face à face, mais cette fois, pas question qu’on fasse la morale à qui voudrait jeter sa haine à l’endroit de ceux qui nous mutilent pour protéger leur ordre. Les pierres volent et les lacrymos aussi. La foule se disloque pour mieux se retrouver mais pour encore surprendre par sa mobilité. En deux groupes, les gilets jaunes partent en ville pour se réunir à la banque de France. Afin dit-on d’y vérifier ce dicton rouennais «  porte qui brûle fait foule en liesse ». Mais la porte ne sera jamais atteinte, quand un groupe voit l’autre au loin  sous les nuées de gaz, il file le rejoindre et place de la résistance, en centre ville,c’est la réunion.

Une dizaine de barricades simultanées

Alors dans la liesse on ne tergiverse pas, c’est comme si la joie de se retrouver imposait d’exposer la rage qui nous est commune. A 13h 30, le chantier du tram qui traverse la ville commence à être démembré. S’en suivent 6h d’émeute comme la ville n’en a pas connu depuis au moins 40ans,  d’aussi loin que s’en souviennent les plus âgés d’entre-nous. Sur la place les barricades s’enchaînent et s’enflamment, le sapin de noël aussi. Il y a les barricades qui visent à entraver la vision des flics et leur mouvements par le feu et les barricades mobiles pour protéger celles et ceux qui balancent les pierres, boulons, etc sur les flics. Les tags commencent à fleurir et toute la foule prend plaisir à mettre la main à la pâte. Qui, par le désossement du chantier, qui, par la mise au feu, qui, par la recharge en pierre, la recharge en bouffe, le guet etc. De tous âges, et même des badauds s’en viennent à nous prêter main forte.

Quand la bac tente une incursion ce sont des dizaines de gilets jaunes qui se font une joie de leur sauter dessus, alors ils restent à distance de tir. Les flics sont en sous-nombre, même après que des renforts de C.R.S parviennent dans la ville, la police ne saura que faire reculer les manifestants mais jamais les disloquer. L’intelligence de la situation est aiguë, les barricades ne sont pas seulement de front face à la police elles sont aussi sur les rues attenantes et davantage, et en flamme. Il y a ainsi jusqu’à une dizaine de barricades simultanées et tenues. Au milieu c’est la liesse et les regards incrédules.

Fini de tendre l’autre joue

La force s’éprouve comme jamais, les tactiques s’affinent. On progresse parfois et faisons reculer la police, par vagues des dizaines de pierres s’abattent vers la police. Les flash balls pleuvent et l’avenue est un brouillard de gaz mais ce sont bien 500 personnes qui demeurent tout du long. Organisés, les gilets jaunes étaient venus équipés : équipes médic, matériel offensif, masques à gaz, essence,  des tracts de conseils face à la répression. L’accord est général, fini de tendre l’autre joue, fini de se plier à l’ordre, même l’une des figures médiatiques de Caen, négociatrice en début de mouvement avec la préfecture l’affirme dans son live de la journée «  on a été gentil on s’est fait foutre de notre gueule maintenant les gens sont en colère et ils ne s’arrêteront pas » . Et oui, il faut bien être aux commandes depuis trop longtemps pour croire que ceux qui subissent l’ordre vont s’en tenir aux règles d’un jeu qui les brise.

La foule reculant dans l’avenue emporte avec elle les vitrines de banques, d’agences d’intérim, bref de ce dont elle crève, les horodateur sont brisés ou en flamme. Un chantier sur le côté est investi de force et tout son matériel vient renforcer les barricades. Y compris un grand bidon d’huile qui égayera sacrément un feu. Les colonnes humaines transportent le matériel sous les vivats et les conseils. La nuit tombe et la foule s’amenuise mais pas la détermination, encore une fois la
police ne parvient pas à rompre l’unité et ne fait que nous faire reculer. Mais dans le sens que déterminent les manifestants, et celui-ci longe évidement le chantier du tramway. Les banques du passage morflent mais aussi TWISTO l’odieuse officine de transport public qui balance les sans papiers aux flics.

Le fait est que les coups pleuvent sur ceux qui nous oppressent

Le fait est que les coups pleuvent sur ceux qui nous oppressent

Dans la nuit, le spectacle est magique, les colonnes de feux sont immenses et bientôt un engin de chantier vient se mêler au brasier et plus loin un deuxième. La Bac tente une nouvelle entrée sur le côté mais ne parvient pas non plus à briser le cortège. Il est 19h30 et ce samedi à Caen ne ressemble à aucun autre. Celles et ceux qui repartent se donnent rendez-vous au samedi prochain quand ce n’est pas plus tôt, la gorge et les poumons détruits mais avec des étoiles dans les yeux. Les magasins ont intérêt à prévoir l’approvisionnement en masque a gaz pour la semaine à venir.  Si la majorité des gens continent à dire qu’ils ne sont pas des casseurs c’est bien par ce que l’appareil médiatique a mordu sa propre queue. En effet, si les casseurs sont des gens hors du mouvements qui cassent sans raison n’importe quoi et n’importe qui, la foule elle sait ce qu’elle casse et pourquoi : il n’y a donc pas de casseurs en son sein et elle n’en a jamais vu. Le fait est que les coups pleuvent sur ce qui nous oppresse.

La préfecture peut se satisfaire d’avoir vu le cœur de sa capitale tenu pendant 6h par des émeutiers, elle a préservé sa forteresse et ses symboles. Mais qu’elle prenne garde de ce que les manifestants ont gagné en confiance en leurs propres forces. Les renforts qu’il faudra pour maintenir l’ordre seront toujours ceux qui ne seront pas ailleurs. Allons, tous, l’heure est au renversement !