Pour juguler l’épidémie et surveiller les déplacements autorisés, les pouvoirs publics n’hésitent pas à utiliser tous les moyens offerts par la technologie moderne : applications, données numériques, géolocalisation, etc.
Tout le monde à l’air de consentir au confinement, il est pourtant capital de comprendre le risque que nous courrons à laisser se généraliser ces formes de contrôle si nous ne voulons pas que nos vie d’après le confinement ressemblent un peu trop à un épisode de Black Miror. Qu’est-ce qui nous garantit en effet que ces dispositions prendront fin avec la fin de l’état d’urgence sanitaire ?
LE TELEPHONE PORTABLE COMME ARME DE SURVEILLANCE MASSIVE
Comment utiliser les données personnelles numériques générées par nos smartphones pour comprendre comment le virus progresse et mettre en oeuvre des mesures de quarantaine adaptée ? Telle est la question que tous les spécialistes de la surveillance 2.0 se posent actuellement.
Dans ce contexte, une équipe de chercheurs d’Oxford ont imaginé et commencé le développement d’une application qui, installée sur un smartphone, géolocalise en permanence son propriétaire. Si ce dernier est diagnostiqué positif au SARS-CoV-2, l’application avertit immédiatement tous les propriétaires de l’application qui ont été en contact rapproché avec lui. Selon leur degré de proximité, l’application leur ordonne de se mettre en confinement total ou simplement de maintenir une distance de sécurité avec les gens qu’ils rencontrent. Elle peut aussi donner des indications aux autorités pour qu’elles puissent désinfecter les lieux où la personne contaminée s’est rendue.
CHINE
Dès la fin du mois de février, les autorités chinoises, en partenariat avec le géant du numérique Alibaba, ont déployé dans les provinces les plus touchées une application au principe similaire. Chaque utilisateur dispose d’un code-barres de trois couleurs : rouge, qui lui interdit de sortir de chez lui pendant deux semaines ; jaune, qui lui demande de se mettre en quarantaine pendant sept jours ; vert, qui le laisse libre d’aller et venir. La couleur est déterminée, de manière assez opaque, par les derniers déplacements de son propriétaire et la probabilité qu’il ait côtoyé des malades.
Les codes-barres, vérifiés et « flashés » à l’entrée des magasins et des transports en commun, permettent de géolocaliser leur propriétaire. Mais l’application peut également localiser en temps réel : selon le New York Times, les informations collectées par l’application sont envoyées à la police.
Israël suit cette même logique, mais sans application spécifique et sans que ses citoyens en soient informés. Grâce aux moyens de l’antiterrorisme, le service de renseignement intérieur de l’Etat hébreu peut désormais accéder à la géolocalisation des téléphones des Israéliens afin de repérer les personnes ayant été en contact rapproché avec un malade et leur ordonner de se confiner.
Les données personnelles, notamment les données des opérateurs téléphoniques, sont aussi utilisées pour s’assurer du respect des mesures de quarantaine, comme en Corée du Sud ou à Taïwan. C’est aussi le cas en Italie, où les autorités reçoivent des données des opérateurs téléphoniques, ont expliqué ces derniers jours deux responsables sanitaires de la région de Lombardie.
A Taïwan, où les smartphones sont suivis en temps réel pour endiguer l’épidémie. Eteindre temporairement son portable, ou ne pas répondre aux appels inopinés des autorités, peuvent être interprétés comme une tentative non autorisée de sortie, et conduire à l’irruption des autorités à son domicile.
FRANCE
Même situation en France où un comité de scientifiques travaille sur une « stratégie numérique d’identification des personnes ». Après le confinement, La surveillance des données télécom, dont celles de géolocalisation, est la piste suivi par le gouvernement. Ce 24 mars, il a annoncé la mise en place d’un comité de chercheurs et de médecins, le CARE, chargé à compter du jour-même de conseiller l’exécutif sur les pratiques de « backtracking ». Ces dernières permettent de retracer le parcours d’un individu grâce à des données de géolocalisation.
Le CARE « accompagnera la réflexion des autorités sur (…) l’opportunité de la mise en place d’une stratégie numérique d’identification des personnes ayant été au contact de personnes infectées », a fait savoir la présidence. Le tout afin de mieux cerner la propagation de l’épidémie ainsi que les zones les plus à risque.
L’Europe s’est elle aussi mise sur la piste de la surveillance des données télécom. Thierry Breton entend en l’occurrence les mettre à profit de la recherche médicale, pour analyser la propagation de l’épidémie en fonction des mouvements de population, et anticiper les pics épidémiologiques.
Le commissaire européen au marché intérieur s’est entretenu ce lundi avec les patrons des plus grands opérateurs télécoms européens, dont Orange, Deutsche Telekom, Telecom Italia, Telecom Italia et Vodafone. Autant d’opérateurs qui sont invités à coopérer rapidement, et à fournir des données anonymisées et massifiées. En France, Orange n’attend plus que le feu vert de la CNIL pour lancer une telle coopération avec l’Inserm.
La gestion de la crise sanitaire renforce les pouvoirs dont disposent les autorités politiques de façon considérable. C’est la pire des dystopies possibles qui est en train de se dessiner sous nos yeux. Un monde où le téléphone portable devient une manière ordinaire de contrôler la population.