Écologie

La Normandie au péril des transports de matières radioactives

À moins d’une semaine de la grande manifestation anti-nucléaire qui aura lieu à Bar-Le-Duc (https://16juin2018.info/), il nous semblait essentiel de parler de la problématique de l’atome et comment celui-ci impacte notre région. En effet, très loin de représenter un danger local, c’est partout et tout le temps que la catastrophe nous guette, de par le transport incessant de matières radioactives.

Avec l’aide du Collectif STOP-EPR ni à Penly ni ailleurs (https://stopeprpenly.org/ - 06 62 29 50 48), nous vous livrons quelques éléments sur la circulation de l’atome nucléaire et de ses nombreux passages en région rouennaise !

Habiter en France, c’est aussi habiter près d’une des 19 centrales nucléaires exploitées par EDF (58 réacteurs au total) et d’une série d’installations nucléaires dites du “cycle combustible” (transformation de l’uranium, enrichissement, fabrication, retraitement du combustible, laboratoires). Mais, en plus des 58 réacteurs qui nous entourent, l’Hexagone est aussi quadrillé par une multitude de transports de matières radioactives : plutonium, combustible nucléaire neuf, combustible usé…Chaque année, plus de 770 000 convois de matières radioactives sillonnent le territoire par trains et camions.

Chaque semaine la Normandie et plus particulièrement l’agglomération de Rouen est traversée par des convois transportent des combustibles irradiés, du plutonium, de l’uranium, du combustible neuf ainsi que toute une gamme de déchets radioactifs produits par les centrales. Pour ne prendre que cet exemple, Paluel a en 2012 expédié 2 898 colis de déchets nucléaires dans quelques 800 transports vers les sites de l’Agence nationale en charge des déchets nucléaires l’Andra. Les colis les plus massifs passent par le rail mais les plus nombreux circulent sur les routes. Les uns comme les autres traversent l’agglomération de Rouen et bien d’autres zones très peuplées.

Rouen plaque tournante des transports de matière radioactive

Il faut dire que ce territoire occupe une place de choix au cœur de la France nucléaire. Non seulement, il faut évacuer les déchets des 8 réacteurs du littoral de la Manche vers les centres de stockage de l’Aube (Andra), mais nous avons l’extrême privilège de voir passer la plupart des convois de combustibles usés vers La Hague pour être entreposé dans des piscines en attente d’un hypothétique « recyclage ».

Le must est sans aucun doute, le passage hebdomadaire du convoi sous haute surveillance qui achemine par l’A13 du Plutonium de l’usine de La Hague à l’usine Melox de Marcoule pour fabriquer ce fameux combustible Mox à l’origine du drame que vivent pour l’éternité les japonais autour de Fukushima. Une grosse dizaine de tonne de Plutonium, substance la plus nocive produite par l’industrie atomique, transite donc chaque semaine au Sud la Métropole Rouen Normandie vers l’Ile de France avant de plonger vers la Provence sur l’A6. Des gendarmes armés jusqu’aux dents surveillent ce convoi et n’admettent guère que l’on s’y intéresse… à moins bien évidemment d’apprécier de passer une après-midi dans les locaux de la brigade autoroutière de Gaillon (cf. https://blogs.mediapart.fr/guillaume-blavette/blog/041213/le-reel-du-nucleaire-en-france)

Chaque semaine circule ici un convoi de Plutonium sur l’A13, de 1 à 4 camions de déchets de faible et moyenne activité en provenance de Paluel et Penly, quelques castors séjournent sur le triage de Sotteville avant de repartir vers une centrale et un convoi chaque mois transporte vers La Hague des combustibles usés.

Cette concentration de flux de substances dangereuses dans une agglomération de plus de 400 000 habitants qui comptent pas moins de 14 sites industriels à haut risque est absolument scandaleux.

Une noria quotidienne de transports dangereux

La très grande majorité des transports de substances radioactives sont effectués par route, mais quelques transports ont également lieu par voie ferrée, par mer et par air. Ces transports concernent trois secteurs d’activité : l’industrie non nucléaire, le secteur médical et l’industrie nucléaire. 12 % des colis transportés en France sont en lien avec l’industrie nucléaire. Cela représente environ 19 000 transports annuels, pour 114 000 colis.

Globalement on dénombre :

- 200 transports organisés pour acheminer les combustibles irradiés des centrales électronucléaires exploitées par EDF vers l’usine de retraitement Areva de La Hague ;

- une centaine de transports de plutonium sous forme d’oxyde entre l’usine de retraitement de La Hague et l’usine de production de combustible de Mélox, située dans le Gard ;

- 250 transports d’hexafluorure d’uranium (UF6) servant à la fabrication du combustible ;

- 400 transports de combustible neuf à base d’uranium et une cinquantaine de transports de combustible neuf « MOX » à base d’uranium et de plutonium ;

- 2 000 transports en provenance ou à destination de l’étranger ou transitant par la France, pour environ 58 000 colis transportés (colis de type industriel, A et B).

De l’arrivée de l’uranium aux ports du Havre, en Seine-Maritime, et de Sète, dans l’Hérault, au stockage définitif des déchets, ce que l’industrie nucléaire appelle le « cycle du combustible » entraîne donc chaque année plusieurs milliers de convois.

Ce phénomène massif ne se limite pas aux seuls besoins des centrales françaises et de l’armée, grande consommatrice de matières radioactives. La France est devenue la « plaque tournante du transport ferroviaire de déchets nucléaires » en Europe. Le nucléaire donne lieu à tout un trafic qui ignore la distance et les frontières pour alimenter des usines et des centres de recherche mais aussi trouver des solutions pour des déchets dont personne ne veut.

Des risques réels et des impacts non négligeables

Les transports de substances radioactives nous exposent à des risques spécifiques en cas d’accident ou de défaillance des emballages conçus pour nous protéger des substances radioactives :

- le risque d’irradiation externe de personnes dans le cas de la détérioration de la protection radiologique des colis (matériau qui permet de réduire le rayonnement au contact des colis de substances radioactives) ;

- le risque d’inhalation ou d’ingestion de particules radioactives en cas de relâchement de substances radioactives hors de l’emballage ;

- la contamination de l’environnement dans le cas de relâchement de substances radioactives ;

- le démarrage d’une réaction nucléaire en chaîne non contrôlée (risque de criticité) pouvant occasionner une irradiation grave des personnes. Ce risque ne concerne que les substances fissiles.

- les matières utilisées par l’industrie nucléaire et l’armée peuvent par ailleurs présenter également un risque chimique ;

Tout prêt près de chez vous…

En 2017, 64 événements de niveau 0 et 2 événements de niveau 1 ont été déclarés à l’ASN dans le domaine des transports de substances radioactives. Plus de la moitié des événements significatifs déclarés concernent l’industrie nucléaire. Environ un tiers concernent les produits pharmaceutiques radioactifs.

En avril 2017, un « castor » a déraillé non loin du terminal ferroviaire de Valognes où sont déchargés les combustibles qui arrivent par rail avant d’être acheminés par la route à La Hague. A Drancy, en 2013, un wagon avait quant à lui déraillé au cœur de l’agglomération parisienne. L’enquête a révélé alors que ce « castor » présentait des traces de contamination radioactive à sa surface.…

Les risques existent et ils sont constants. Pour l’essentiel il s’agit de « non-conformités matérielles » des colis : les emballages sont mal fermés, mal fixés voire présentent quelques des défauts. Et ce qui devait rester confiner se retrouve à la surface… on parle alors de « la présence de points de contamination dépassant les limites réglementaires. »

Des conséquences irréversibles

Très concrètement, les transports nucléaires contribuent à disséminer un peu partout des substances radioactives dont les impacts dans la santé sont réels et sérieux même si beaucoup s’emploient encore à minimiser les risques. Ces substances sont des produits chimiques qui ont la particularité de pénétrer au cœur des cellules pour casser l’ADN entraînant des conséquences à plus ou moins long terme selon les individus. On parle dans le jargon officiel de substances cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR). Des normes de protection existent (2 mSv/h en surface). Mais elles sont dérisoires au regard des risques et surtout de la diversité des rayonnements ionisants (α, β et γ) d’autant plus que des expériences menées en 2011 à Valognes ont prouvé que les « castor » émettent des rayonnements neutroniques jusqu’à 30 m au péril de la santé des cheminots qui travaillent sur ces convois.

Nous ne sommes évidemment pas à l’abri d’un accident tragique aux allures de Tchernobyl ou Fukushima. Les autorités ne nient pas ce risque mais le considèrent comme négligeable. En tant que gestionnaire de l’énergie, l’État s’attache principalement à rendre « indispensable » son industrie nucléaire tout en omettant le risque extrême que celle-ci suppose.

Bure pour l’éternité…

Le nombre hallucinant de transports de matières radioactives s’explique par le fonctionnement de l’industrie nucléaire. Il faut sans arrêt transporter des produits dangereux d’un endroit à un autre de la mine aux déchets. Des milliers de tonnes circulent ainsi chaque année dans la plus grande discrétion.

Le minerai arrive à Malvési près de Narbonne pour être préparé. Il part ensuite au Tricastin pour être enrichi, remonte à Romans-sur-Isère pour être assemblé et part dans les centrales où il est transformé en substances plus dangereuses encore par la fission. Il est finalement évacué vers La Hague pour un hypothétique retraitement.

Le cycle du combustible est une chaîne qui nous enferme. Après 60 années de délires atomiques pour fabriquer la Bombe puis produire de l’électricité, les déchets nucléaire représentent 1 540 000 m 3. Personne n’en veut ni ne sait où les mettre.

Des sites de stockage ont été conçus pour les FMA et les TFA dont la nocivité radioactive aura disparu d’ici 300 ans. Mais aucune solution sérieuse n’existe à ce jour pour les déchets les plus nocifs dits à « vie longue ».

A Bure, l’Andra étudie depuis près de 30 ans la possibilité d’enfouir les déchets les plus radioactifs avec la conviction qu’une fois enterrés ils ne présenteront plus de risques en surface. Indépendemment du coût astronomique que représente ce projet, rien à ce jour ne garantit que la fameuse « barrière géologique » retienne des substances dont quelques milligrammes peuvent tuer n’importe qui. Enfouir des déchets radioactifs à 500 mètres de profondeur dans un tunnel de 300 km de long, avec des scellés définitifs, est métaphysiquement absolument délirant.

Des milliers de transports seraient nécessaires

Ce qui est destiné à l’enfouissement est pour l’essentiel entreposé aujourd’hui dans les piscines et les silos de l’usine de La Hague, près de Cherbourg, au Tricastin, Marcoule, Chinon, etc. Ainsi seront nécessaire un nombre invraisemblable de convois pour acheminer les déchets vers Bure. L’Andra parle elle-même de 2 convois par semaine pendant un siècle. Ceux transportant les déchets vitrifiés c’est-à-dire les plus dangereux passeront par Rouen puis Amiens avant de partir vers le Grand est.

La France a fait de l’industrie nucléaire son bijoux, sa fierté. Elle ne témoigne aucun signe de « sortie du nucléaire ». Au contraire, elle vends son savoir, importe les déchets de pays voisins et se lance dans des projets délirants tels que celui de Bure. La dangerosité de cette industrie ne se situe pas uniquement sur les centrales ou les réacteurs. C’est bien sur tout le territoire et en permanence que le risque d’une catastrophe existe, de par le transport des matières radioactives.

En cela, la lutte anti-nucléaire n’est pas une affaire locale. Ce que l’État et l’Andra projettent de construire à Bure, et qui ne doit jamais voir le jour, nous concerne tous. La question du stockage et de l’élimination des déchets radioactifs est le maillon faible cette industrie. C’est sur cette question qu’il paraît opportun de se mobiliser. Retrouvons-nous ce week-end (samedi 16 juin) à Bar-Le-Duc près de Bure (Meuse) pour la grande manifestation « contre la poubelle nucléaire » (https://16juin2018.info/).