Nombre de chroniqueurs n’ont cessé de le répéter en décembre dernier : le gouvernement ne tient plus que par sa police. La corporation policière a bien finit par comprendre que, en effet, elle était devenue la condition du gouvernement, son kit de survie, son respirateur ambulant. Si elle n’a pas été défaite dans la rue face à la révolte des gilets jaunes, son développement n’est pas des plus calmes. Entre autonomisation politique, fascisation, suicides, gilet-jaunisation interne, l’institution policière fuit par tous les bouts.
Les policiers dans la rue
Dans un contexte de discrédit quasi-total, la classe politique a dû s’en remettre aux policiers pour se maintenir. De là, le corps policier dans son ensemble a pu intensifier le rapport de force, engagé déjà depuis 2016, pour réclamer de meilleures conditions de travail. Cet automne là, des milliers de policiers avaient déambulé sur les Champs-Élysées, armés et visages masqués, sans que personne n’ose parler de menée factieuse. En décembre 2018, au plus fort du mouvement des gilets jaunes, la police menaçait de lâcher son gouvernement si une prime ne leur était pas octroyée immédiatement. Ce qui fut chose faite. Cette année, ils étaient encore des milliers à se mobiliser le 2 octobre dernier pour « la marche de la colère » pour réclamer les heures impayées et davantage de moyens.
Des policiers criminels, une hiérarchie complice
Si d’un côté la police cherche les moyens de son autonomie, on constate dans ses rangs des gestes de radicalisation interne. Appelés « bavures », ils constituent en réalité les actes récurrents par lesquelles la police dissémine la peur, loin du « politiquement correcte ».
Des « bouyaka » ponctuent les tirs de LBD40 à hauteur de visage (#giletsjaunes). Des matraques sont utilisées comme de instruments de viol (#théo). La peine de mort est de facto rétablie lors d’opérations anti-terroristes ou dans le maintien de l’ordre en banlieue. La hiérarchie aquiesce, la police des polices n’établit pas de liens ni de vérités (#Steve), les ministres sont politiquement tenus de couvrir l’ensemble pour leur propre survie.
"- Ouais ! Dans ta gueule !"
"- Bouyaka ! Bouyaka !"
"- Fils de pute !"
"- A voté !"Commentaires joyeux de policiers qui tirent des balles en caoutchouc sur les manifestants. pic.twitter.com/j1UGYwl1g9
— Nantes Révoltée (@Nantes_Revoltee) December 11, 2018
Défections internes
Heures supplémentaires impayées. Détestation générale. Rapports hiérarchiques oppressants. Boulot ingrats. Politique du chiffre. En interne, le quotidien policier ne fait rêver personne. Ainsi, à l’image d’autres professions, les suicides s’enchaînent. 53 en une année. Des statistiques similaires à l’hécatombe de chez France Telecom. Outre le « suicidez-vous » clamé sur la place de la République le 21 avril lors d’un acte des gilets jaunes, nombre de manifestants ont préféré « ne vous suicidez pas, rejoignez-nous ». Il semble, pour le moment, que seul le plus médiatisé des deux ait un effet réel sur l’appareil policier.
La semaine passée, un fonctionnaire de la préfecture de Paris tue quatre de ses collègues. Outre l’usage médiatique et politique qui en est fait, entre pirouettes sémantiques et raccourcis habituels, on pense spontanément au burn-out. Le témoignage de dernière minute du voisin du tueur (policier, lui aussi) qui l’aurait entendu crier « Allah Akbar !» (rappelons que l’assassin est sourd et muet) tombe évidemment à pic pour alimenter le fantasme djihadiste. En effet, elle semble être la seule explication acceptable du point de vue de l’appareil policier et de la classe politique. On ne pourra jamais admettre publiquement que l’acte tragique de ce fonctionnaire handicapé est en réalité une autre forme de suicide à laquelle le corps policier pourrait maintenant faire face. On pourra toujours tenter de détecter les signaux faibles, une telle institution ne peut QUE charrier son lot de défections internes qui pour l’heure s’incarnent presque toutes par le suicide.
69 policiers en arrêt à la veille d’un acte national à Toulouse
Presque, car en effet, deux autres possibilités ont été mises en œuvre. À commencer par l’arrêt maladie. Lorsqu’il se pratique à l’échelle d’une compagnie, les effets s’en font ressentir immédiatement. Hier par exemple, pour l’acte toulousain des gilets jaunes, le dispositif policier a été impacté dans son ensemble. 75 % des policiers des brigades d’intervention se sont fait arrêter la veille de la mobilisation nationale des Gilets jaunes. Selon leur syndicat, ils sont épuisés et démoralisés. 69 policiers étaient précisément en arrêt de travail. Tous font partie de deux brigades bien spécifiques : la Compagnie de Sécurisation et d’Intervention et la Compagnie Départementale d’Intervention. Celles-ci s’occupent généralement du maintien de l’ordre et sont mobilisées chaque samedi lors des manifestations des Gilets jaunes.
Et Philippe Lavenu, du syndicat Alliance Police ne cache pas que la « contagion » pourrait s’étendre à d’autres services si la situation continue.
L’autre fuite possible, encore, s’est vue lors de l’acte 45 des gilets jaunes à Paris. C’est bel et bien un capitaine de police qui a abondamment insulté ses collègues voltigeurs. Ici apparaît un cas, encore isolé, de comportement déviant dans l’institution policière. Si l’homme a agi au regard d’une époque prétendument plus respectable et révolue de la police, son action demeure pour l’instant l’échappatoire le plus désirable.
Ici, on le voit sortir de garde-à-vue, accueilli chaleureusement par quelques gilets jaunes :
Des arrêts maladie plus récurrents et plus massifs
Autre fuite possible :