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Notre road-trip s’est fini dans la plus grande prison d’Asie Deux rouennais dans l'enfer de Tihar-Jail

C’est en septembre 2015 que Momo et Victor, deux rouennais, prennent leurs billets et décollent pour l’Inde. A destination, un gros road-trip sur les terres asiatiques les attend : location de 125cm3, hébergement chez l’habitant, mais surtout, aucun plan précis. Pendant leurs trois mois de vagabondage, au gré des rencontres hasardeuses et des embûches de parcours, ils vivent une expérience magique, inoubliable. Mais c’est lorsqu’ils s’apprêtent à revenir en France que leur voyage prend une tournure inattendue : retour sur un bref séjour dans la plus grande prison d’Asie.

« Le dernier jour on va à l’aéroport pour revenir. Jusqu’ici tout va bien. On recroise un pote que l’on avait pas vu depuis longtemps et on en a profité pour bien fêter ça. On est arrivé à l’aéroport tous ensemble. On a finit de prendre l’apéro comme on avait commencé. On passe tous les portiques de sécurité sans soucis et on monte dans l’avion. A priori, ça se voyait un peu qu’on était ivre, mais pas particulièrement agressif (c’est ce qui est écrit dans le rapport de la British Arways). Mais comme ça se voyait quand même, ils nous ont demandé de partir de l’avion sous prétexte que sur un vol long courrier, les compagnies ne prennent pas le risque de faire monter des gens en état d’ébriété. C’est totalement abusé d’autant plus c’est totalement subjectif de considérer quelqu’un de ivre ou non. Enfin bon. Ils nous ont débarqué sans que l’on ne dise rien du tout. Là on avait une escorte de flics, qui étaient à peu près une bonne dizaine, quinzaine. »

« On était super dégoûté et Momo, mon pote, ne voulait pas avancer. Les flics l’ont bousculé jusqu’à ce qu’il tombe par terre. Et dans sa chute il y a un flic qui est tombé avec lui. Et là évidemment, les flics ont dit qu’on les avait attaqué. D’un coup, ça a pris des proportions complètement différentes. Ça nous est arrivé il était 4, 5 heures du matin. Voilà les mecs nous accusent d’avoir attaquer les flics, avec un article dans le journal le Times of India et tout le tintouin, avec nos photos. Il n’y avait que de la merde écrite dans les articles. A part le fait qu’on était bourré, y’a rien qui était vrai. »

La journée est longue. A peine le temps de décuvé que nos deux comparses sont trimbalés d’un commissariat à un autre. L’ambassade est injoignable. Momo passe à l’hôpital car il saignant encore du nez après l’altercation. Il se rappelle d’ailleurs avoir pris une énorme piqûre dans les fesses et se demande toujours à quoi elle avait servie. C’est en début de soirée que les voilà déférer devant le tribunal :

« Là bas ce qu’est marrant c’est que les flics n’ont pas de menottes. Ils te donnent la main en guise de menotte. Donc nous au début on disait « c’est mort tu me touches pas », mais y’avait pas vraiment le choix, c’est leurs menottes. »

Et là on se dit putain il a dit le mot prison

Le procès se passe et n’y comprennent rien. Le consul arrive sur place et leur explique la situation :

« Voilà ils vous accusent d’avoir pris d’assaut la police. » Les charges qu’ils avaient contre moi c’est ce qu’ils appellent le cas n°34. Intention commune. Juste parce que j’étais là et que je suis le pote de Momo alors je suis coupable. Et là le consul nous explique que l’on va aller en prison, d’une semaine à un mois. Et là on se dit putain il a dit le mot prison et tout. Là direct, ils nous emmènent dans la cage de sortie de tribunal et entrée de prison. Donc là y’avaient d’autres mecs, deux ou trois népalais. On a compris qu’on irait pas dans les mêmes prisons car on parlait avec les gars, je ne sais plus exactement pourquoi ils étaient là, et en fait ils nous disent que c’est une question d’ordre alphabétique. Et si Momo avait donné comme moi son nom avant son prénom on se serait retrouvé dans la même prison. Enfin bref, une question d’ordre alphabétique. »

« Je suis rentré en prison le 10 décembre. Et du coup me voilà dans le bus magique pour aller en prison. Les grilles sur le côté et tout le tralala. Je fais 3/4 d’heure de bus et me voilà à Tihar, la plus grand prison d’Asie. Ça, ça envoie sur le CV. La prison est immense, 10 blocs différents. Pour se déplacer entre les blocs ils utilisent des bus. T’as plus de 10 000 prisonniers. Ça fait pas mal de monde.»

« Premier soir on arrive avec les nouveaux arrivants. On va récupérer notre bouffe. Le bloc est divisé en trois ailes. Et dans chaque aile t’as deux cellules. Des cellules qui peuvent accueillir jusqu’à 70 à 80 personnes. Il n’y a pas de lit. C’est à l’arrache total. Ce soir là ils nous filent le package couvertures : deux morceaux de toiles de jutes qui faisaient la moitié de la surface de mon corps. Donc là avec ma chemise et les 3° la nuit, je me suis pelé les miches. Après dans la cellule de 70 personnes t’as un peu moins froid, t’es avec tout le monde. Mais le premier soir j’ai bien dormi, bien claqué de la veille et de tous ces événements. »

Dès les premiers jours Victor s’acclimate. Il fait la rencontre des super-intendants, des prisonniers-gardiens (ceux à qui on offre un peu de pouvoir, une trique et plus de bouffe pour faire régner l’ordre dans le bloc), des népalais (victimes de racisme en Inde, et souvent là pour rien) et de la prière du matin (faisant office d’appel). Mais évidemment, Victor considère qu’il n’a rien à faire là :

« De là j’ai commencé à me demander ce qu’il allait se passer par la suite. J’ai rencontré mon avocat le deuxième jour. Là j’ai appris que dans la déposition des flics, mon nom était nulle part. Je lui ai dit au mec : « mais qu’est ce que je fous là ». Et c’est vrai que dans ces moments là, j’en ai discuté avec d’autres personnes qui ont eu la même expérience, c’est que dans des situations floues tu te rattaches à ce qu’on te dit de mieux. Genre, « oh toi t’es là pour ça, bah demain t’es sorti », et là tu te dis que si lui il m’a dit ça c’est que c’est bon. L’avocat me disait plus ou moins ça. »

Il sympathise avec quelques co-détenus, mais Victor commence à perdre patience :

« Vu qu’il ne se passait rien, que j’savais pas ce qui allait m’arriver et combien de temps j’allais rester, et que les prisonniers-gardiens (les capos, comme on les appelait) étaient des gros connards avec les autres détenus, je me suis mis à ne plus rien faire. Je n’allais plus à l’appel, plus rien. Et j’allais auprès du bureau des gardiens et je passais mes matinées à les insulter. Mais vraiment en plus. Je leur disais que je ne savais même pas pourquoi j’étais là et je les insultai. »

Ils m’ont mis en isolement l’après midi. Alors j’ai commencé à foutre la merde.

« Au bout de trois jours je me suis mis en grève de la faim. Pareil pour les mêmes raisons. Ça les énervait, il venait me voir mais je leur disais « vous je ne vous parle même pas ». Et puis là un jour, je sais plus exactement à quel moment c’était, j’arrive au comptoir où ils nous servait de la bouffe, et là t’avais un gardien que je connaissais pas, et je lui demande un plateau et là il me dit « non je te file pas de plateau », tout en souriant. Trop énervant, je monte sur debout sur le comptoir et je lui dit « bah je reste là ». Il est allé chercher les autres gardiens et là ils arrivent et me disent : « bon Victor calme toi », et puis bon ils m’ont filé le plateau. J’ai fait la queue et j’ai récupérer ma bouffe. Je rejoins les potes dans la cellule pour manger et là, ce connard de gardien passe dans la cellule et me refait une sorte de sourire narquois alors que j’étais en train de bouffer tranquille. Du coup j’ai pété un plomb, je l’ai chopé en plein milieu de la cour alors que tout le monde faisait la queue. Donc t’avais les capos, les prisonniers-gardiens, mais t’avais quand même deux ou trois « vrais gardiens » qui sont quand même là. Ils sont venus nous séparer. Ils m’ont emmené voir l’intendant de notre aile. Et je le rencontre et il me propose un livre, pour que je lise. Pour me calmer. Mais je l’ai envoyé chier. Ils m’ont mis en isolement l’après midi. Alors j’ai commencé à foutre la merde là dedans, j’ai allumé le robinet à fond et j’ai tout bouché, j’avais arraché les trucs des murs etc. Et vers 15h je commence à appuyer sur la sonnette qui se trouve devant chaque cellule pour les faire rager. Bref ils m’ont fait sortir ensuite. »

« Le mardi je revois mon avocat. Et là il me dit que je sors le lendemain. Nickel. C’est vers 21h qu’ils appellent les gens qui sortent de la prison. Mais le jour en question, ils ne m’appellent pas. Et j’ dis au gardien « bah moi mon nom ? » Il me dit que y’a rien. J’attends le surlendemain et là toujours rien. Le soir d’après je leur dis, « bah les mecs ce soir je rentre pas dans ma cellule ». Et au moment venu je leur dis « non je rentre pas, mon nom il ne sort pas, je ne sais même pas pourquoi je suis là, donc je ne vais pas rester une nuit de plus de votre cellule. » Ils sont allés chercher dans le bloc d’à côté, dans le bloc des longues peines, il y a des étrangers qui sont là bas. Pas mal de nigériens, un italien, des camerounais, une petite dizaine d’étrangers avec une solidarité entre eux. Et un gars est arrivé, Jackson il s’appelait, il me dit que si je rentre dans ma cellule ce soir, et bien demain ils me transfèrent avec eux, et que c’est plus tranquille. C’est des cellules de 3 ou d’une dizaine maximum, et vu que les mecs sont là pour des longues peines ils sont mieux installés, avec les couvertures et tout ça. »

« J’ai alors été transféré dans le bloc des longues peines grâce à Jackson. Je ne savais pour quelle raison il avait eu cette possibilité là. Mais il m’a fait visité sa cellule et j’ai compris rapidement qu’il gérait un trafic entre l’intérieur et l’extérieur. Je m’en suis rendu compte un jour où on a fait un match de basket. J’étais persuadé que c’était les bonnes sœurs qui lui ramenaient sa drogue parce que eux c’étaient des cathos, et ils organisaient un tas d’événements dans la prison. Je suis parti avant mais ils préparaient un gros truc pour Noël. Et comme par hasard, quand les bonnes sœurs sont arrivés au moment de ce match de basket, ils sont partis de l’autre côté avec elles, ils avaient tous des survets sur eux. Jackson m’avait dit avant que quand t’as plusieurs survets sur toi tu peux planquer si ou ça sans que ça se voit. Parce qu’on était fouillés à la sortie et au retour dans le bloc, avec scanner, palpation. Ils regardent aussi dans ton froc. Du coup arrivés aux gardiens Jackson les provoque et leur dit « tu veux voir ma queue ? » Finalement ils lui disent non c’est bon et ça passe. Les gardiens, c’étaient pas vraiment des lumières. Ils me demandaient souvent pourquoi j’étais là, car en tant qu’étrangers c’est souvent la drogue qui t’amène là. Et là j’ai commencé à leur faire croire que j’étais là pour avoir violé une vache et que je m’appelais Bruce Wayne. La plupart me croyaient. »

Il y avait de tout : des meurtriers, des faussaires, des dealers, de tout.

Victor rencontre un tas de détenus incarcérés depuis des mois pour des histoires administratives aussi floues qu’incompréhensibles :

« Le camerounais que j’ai rencontré dans les longues peines, c’était un jeune qui avait à peu près mon âge, 23 ou 25. ans Il a fait ses hautes études en Inde, et au bout de deux ans, il a renouvelé son Visa. Ses collègues avaient fait la même chose et quand ils sont ressortis du pays ils n’ont pas eu de soucis, et quand lui a voulu sortir car il avait un contrat à Dubaï pour un gros truc, on lui a dit que ses papiers étaient faux. Ils l’accusaient de faux et d’usage de faux, alors qu’il voulait juste quitter le pays. »

Transféré dans le bloc des longues peines, Victor (probablement en tant qu’occidental blanc) est accueilli comme un invité de prestige :

« Donc après mon transfert chez les longues peines je suis arrivé dans une cellule de 10 personnes dont un gars qui était là depuis très longtemps. Lui il gérait un peu le truc, le grand frère de la cellule un peu. A partir de là, j’étais carrément à la cool. Les plus jeunes de la cellule allaient chercher notre nourriture. Moi je mangeais avec les plus vieux car j’étais considéré comme un invité dans la cellule. Il y avait de tout : des meurtriers, des faussaires, des dealers, de tout. Et notre cellule n’était même pas refermée aux heures où elle était censée l’être. Vraiment open. Enfin ça c’était seulement notre cellule car on avait le vieux avec nous, Pun DJ qu’il s’appelait, et lui il allait jouer au badminton avec l’un des officiers sur les heures de pauses, enfin c’était du délire. De là je retournais régulièrement dans le premier bloc où j’étais car quand je suis parti, deux jours avant un mec était arrivé et il avait des gros problèmes de dos, et ces connards de gardiens-prisonniers, les capos là, ils ne le laissaient pas aller voir le médecin. Du coup je suis allé là bas pour checker s’il allait bien et s’il l’avait finalement laisser aller chez le médecin. »

Incarcéré abusivement et sans apercevoir une issue favorable, Victor conserve son sens de l’humour :

« Un coup en passant entre les deux blocs je suis tombé sur l’adjoint du super-intendant qui m’avait déjà vu à plusieurs reprises, qui m’appelait souvent pour que je lui file des plans pour aller en France, des bonnes adresses et tout ça. Je lui avait donné l’adresse de Bonne Nouvelle pour qu’il vienne voir les prisons en France. Et puis je lui disais aussi, par rapport aux femmes, vous avec vos mariages forcés tu finiras en prison chez nous en faisant ça. »

Une semaine plus tard, le dossier de libération arrive enfin à la prison. Les deux rouennais, relativement chanceux, sortent à un jour d’intervalle et seulement quelques jours avant les vacances judiciaires. Ces dernières les auraient laisser à l’intérieur pour au moins deux semaines de plus. Après de nouvelles galères administratives, ils ont dû « acheter » une autorisation de sortie de territoire d’une valeur de 5000 euros. Leurs amis ont, pour l’occasion, diffuser une cagnotte en ligne pour aider les proches à payer afin de les rapatrier.

Ils ne réussiront à quitter le territoire et à revenir en France que le 15 janvier, trois semaines après leur libération. Ils ne comptent pas retourner en Inde d’ici peu.