La confusion régnait sur les réseaux avant l’acte IX des Gilets Jaunes à Rouen. Des appels à se retrouver ailleurs dans la région, notamment au Havre, laissaient planer quelques doutes sur la réussite de la mobilisation pour la quatrième manifestation consécutive dans les rues de Rouen. Mais cela était sans compter sur le contexte politique aberrant. L’incarcération de Christophe Dettinger et les dernières perles du président et de son « sens de l’effort » ont rendu plus évident encore, et pour d’avantage de personnes, la nécessité de descendre dans la rue. Ce sont finalement plus de 6000 gilets jaunes qui ont déambulé en ville huit heures durant.
Laurent Nunez : visite surprise
Samedi à la première heure, on apprend dans la presse la visite surprise du secrétaire d’État du ministre de l’intérieur, au commissariat de Brisout de Barneville. Laurent Nunez, reçu par la préfète et les gradés, venait booster ses troupes de terrain quelque peu mises à mal ces dernières semaines et livrer un message de fermeté à l’encontre des débordements. Cette visite suivait celle faite à Bordeaux deux jours auparavant, et n’aura manifestement pas suffit à entamer la détermination gilet jaunesque.
Si les premières heures de la manifestation sont plutôt calmes, c’est aux alentours de midi que les forces de l’ordre resserrent la vis. Les gendarmes mobiles ne souhaitaient pas un nouvel épisode « Banque de France », dont le portail à failli, une fois encore, partir en fumée. Les lignes de gendarmes mobiles sont beaucoup plus vindicatives que les dernières semaines et courent cette fois sur des dizaines de mètres. La BAC vient plus rapidement au contact. La présence matinale du maître ne semblait finalement pas sans conséquence sur ses chiens.
Sur le « lynchage » de LCI
C’est vers 13h qu’advient l’événement qui défraie la chronique encore aujourd’hui et qui a occulté une bonne part des événements de la journée. Place de l’Hôtel de Ville, alors que les gilets jaunes en étaient à leur troisième tour de la ville et à leur dixième kilomètre de marche, une pause s’impose. Une équipe de cameramans, rôdant au milieu de la foule est huée. À l’image de BFMtv la semaine passée, ils sont conviés de s’éloigner du cortège car leur présence n’est pas désirée. En effet, les grands médias sont considérés quasi-unanimement par le mouvement comme des rouages du gouvernement, comme des producteurs de désinformations ou de simples relais des mensonges étatiques.
Plutôt que de s’éloigner comme exigé par la foule, les agents de sécurité de l’équipe de LCI sortent une matraque télescopique. C’est à ce moment qu’ils sont confondus avec des policiers en civil de la BAC. Il faut bien avouer que quatre individus, plutôt grands, équipés de casques, de lunettes de ski, de matraques et de plaques tricolores autour du cou peuvent laisser quelques doutes sur la profession de ceux-ci, quand ils se disent journalistes. La situation s’envenime. Des coups pleuvent. Des manifestants aident l’équipe à s’enfuir.
Il n’en fallait pas plus pour livrer du pain béni aux chroniqueurs et d’en faire le nouveau scandale des gilets jaunes : « dérive totalitaire », « déferlement de haine »… Si les coups n’étaient pas nécessaires pour les expulser du cortège, et qu’il ne faut pas confondre simples pigistes et éditorialistes, nous comprenons la volonté des gilets jaunes de tenir à distance, dans certaines situations, les caméras des journalistes qui travaillent à discréditer le mouvement depuis deux mois maintenant.
« On déclarera nos manifs quand ils déclareront leurs revenus »
Au quatrième samedi de manifestations consécutives, les rendez-vous rouennais charrient dorénavant des milliers de gilets jaunes expérimentés au maintien de l’ordre à la rouennaise. Éviter la rive gauche et même les quais, ne pas traîner trop longtemps sur les grands boulevards, se retrouver quoi qu’il arrive à l’Hôtel de ville font partis des évidences acquises ces dernières semaines. Une fois de plus, le parcours totalement improvisé et imprévisible nous a traîné, parfois au pas de course, sur une bonne vingtaine de kilomètres.
Le centre ville de Rouen regorge de symboles du pouvoir. La Banque de France en a déjà fait les frais mais samedi de nouvelles cibles logiques se sont imposées. Les commissariats, la caserne de gendarmerie et le palais de justice ont cette fois été visés. Le commissariat de la place Beauvoisine et les locaux de la police municipale rue Orbe ont échappé de peu aux flammes. Quelques vitres du bureau du procureur de la République ont, elles, été brisées.
Toujours avec spontanéité et intelligence collective, agrémentés de gestes de détermination dissuadant parfois la police de s’approcher, le cortège est resté massif et dynamique jusqu’aux alentours de 18h. Les derniers réfractaires, élancés dans une manifestation nocturne, étaient pourchassés par des colonnes de fourgons de gendarmes mobiles suivis de près par deux étranges fourgons banalisés (un blanc et un bleu) soupçonnés d’appartenir à la BRI (ou du moins, d’un escadron de BAC ne venant pas de Rouen).
De nouveaux blessés et des arrestations sont à déplorer. Un nouvel acte est déjà prévu : Acte X. Mais avant ça, Bourgtheroulde !
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