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Rouen : rassemblement pour George Floyd et contre toutes les violences policières

Plusieurs milliers de personnes se sont retrouvées ce mercredi 5 juin pour un hommage qui oscillait entre colère et gravité. Une détermination rare, joyeuse et triste à la fois, animait tout le monde, ceux qui voulaient laisser éclater leur rage comme ceux qui semblaient vouloir plus de calme. Voici un récit à la première personne et un reportage photo de ce moment précieux contre les violences policières .
Merci au photographe. Cliquez sur les photos pour les faire défiler.

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Les rassemblements de plus de 10 personnes sont interdits, mais l’esplanade devant le palais de justice est blindée de monde. Se couvrir le visage en manif est interdit, mais presque tout le monde est masqué. Avant même le début des prises de parole et les premiers pas de la manifestation, je me dis qu’on a écrasé la préfecture.

J’essaie de lire le plus possibles de pancartes : Black lives matter, George Floyd, Adama Traoré et trop d’autres noms, ceux des gens que la police a assassinés, en France comme aux États-Unis, Is my dad next ?, Fuck the police, Pas de justice pas de paix. Des gens portent des grandes lettres qui forment la phrase I can’t breathe, « je ne peux pas respirer », qui se reflète sur des pancartes, des masques et bientôt les murs autour de la place. Sur un abribus, il y a des petits qui font rire leurs potes et une banderole : « Tout le monde déteste de plus en plus la police ».

On entend des extraits d’un reportage d’Arte radio sur les policiers de Rouen : ce sont leurs propres paroles, surprises sur un groupe Whatsapp et collectées par un de leurs collègues. Racistes, violents, pervers, fantasmant sur une guerre civile à venir, dans laquelle ils feraient prendre cher aux gauchistes comme à ce qu’ils appellent « la diversité ». La foule les hue puis se tait : une femme parle de l’oncle qu’elle n’a pas connu, mort aussi sous les coups de la police ou des matons, je n’ai pas bien entendu, et pour qui il n’y aura jamais ni vérité ni justice. Les prises de parole s’enchaînent, sur la police, sur le racisme, sur les vrais responsables de l’esclavage et sur nos identités multiples. Je n’entends pas toujours bien les mots, mais j’entends bien l’émotion. Une fille à côté de moi a des larmes qui coulent sur ses joues quand on lève tous le poing ou quand on crie «Pouvoir au peuple».

On se retourne et on se dirige vers le commissariat Beauvoisine. J’ai l’impression que tout le monde est venu avec ses potes, les gens discutent, mettent de la musique. C’est bonne ambiance, et en même temps, on sent que les gens ont la rage. Avant d’arriver au commissariat, je n’ai même pas le temps de comprendre ce qu’il se passe que des grenades lacrymogènes nous tombent dessus. Pendant, je ne sais pas, une demi-heure, j’en vois arriver d’autres régulièrement, depuis la ligne de gyrophares qui garde les abords du comico. Je ne sais pas pourquoi, je regarde un conteneur de tri sélectif brûler et je pense à une vidéo filmée la veille à Portland qui montrait la même scène. Je trouve ça beau.

Il y a des manifestants qui ont à cœur que les autres ne jettent pas d’objets à la police, ne renversent pas de poubelle. Ils engueulent ceux qui voudraient répondre par un jet de canette aux lacrymos, aux tirs de flash-ball, aux blessures, aux meurtres, à leur expérience propre de ce qu’est la police. Moi, je n’aime pas trop quand des gens veulent que tout le monde ait les mêmes gestes, la même façon d’exprimer sa rage, ou qu’ils veulent qu’on donne une « bonne image » de nous. La police a une suffisamment mauvaise image pour que notre colère soit compréhensible. Et je pense au commissariat cramé à Minneapolis : tout le monde et, d’après un sondage, une majorité d’Américain soutient le geste. Mais bon, vu l’énergie du moment, je me dis que c’est pas si grave.

La police tente un petit mouv : nous coincer entre les gendarmes mobiles positionnés sur le Boulevard de l’Yser et les policiers alignés rue Jeanne d’Arc. La manif repart en sens inverse, suit les boulevards et, après avoir cru qu’on ne retournerait pas en centre-ville, le rejoint par la rue Cauchoise.

Retour triomphal au Palais de Justice. Quelques lettres de I can’t breathe forment maintenant le mot ACAB. La foule crie « Justice pour Adama », « Pas de justice pas de paix », met un genou à terre. Il reste pas mal de monde et on n’a toujours pas envie de rentrer, alors on descend la rue Jeanne d’Arc. Je suis contente d’être là et je ne vois plus de flics. Des manifestants s’allongent sur la route, les mains derrière le dos au Théâtre des Arts. C’est un geste comme un discours : tu le regardes et il te dit beaucoup de choses. Près de la Seine, une poubelle crame sur fond de ciel dégagé. C’est stylé, ça mérite une photo, mais c’est aussi le moment lui-même qui est beau et on est allé le gagner.

On traverse le pont et, une fois à Joffre, la question qu’on avait dans la tête arrive enfin dans les bouches : est-ce qu’on va à Brisout ? Certains ne sont pas chauds, mais ceux qui le sont ont assez de détermination, alors on y va. La police est déterminée, elle aussi, à ne pas nous laisser approcher. Ils gardent leur commissariat central et gazent et regazent aussitôt. Ils gazent leur gaz. On ne voit plus grand-chose, ni nous, ni eux, ce qui fait qu’ils n’ont sans doute pas vu venir le feu d’artifice qui leur pète à la tronche. Je peux pas empêcher cette impression que c’est comme une fête surprise, un anniv, je me sens comme une gamine. Un type à côté de moi tousse dans les lacrymo et répète ironiquement : « On aime bien ça ! », il me fait rire. Quelques minutes après, ils envoient une bagnole de BAC, et on reflue vers Saint-Sever.

En rentrant chez moi, je croise des groupes de gens avec des masques à la main, on se sourit, on attend la suite.

Je n’en ai pas vu directement, mais je crois que des gens ont été interpelés. Si vous les connaissez, n’hésitez pas à contacter la Legal Team Rouen. C’est un collectif qui peut vous aider à vous défendre en cas de procès et vous aider à payer un avocat. Je les connais, ils sont sympa et ils ont des bons conseils sur la garde-à-vue.

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Contact de la Légal Team de Rouen : 07 68 84 84 92 / mail : [email protected]
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