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Solidarité et collectifs autonomes : que signifie s’organiser politiquement à l’ère de Trump ?

Sophie Anderson

Experts en cybersécurité et journalistes spécialisés dans le domaine de la technologie.

MIS À JOUR: 21 mars 2023

Un peu partout la solidarité s’organise. Il ne s’agit pas seulement de pallier les manquements de l’Etat comme on le lit trop souvent. Aux USA, en Italie, en France et sans doute ailleurs, il s’agit souvent de collectifs autonomes qui existaient avant la crise actuelle et qui avaient déjà pris l’habitude de s’organiser en dehors de l’Etat (et parfois contre lui). Des collectifs armés d’une certitude : il n’est plus possible d’en rester à la contradiction de gauche qui consiste d’une part à faire la critique de la politique étatique réelle et, d’autre part, de le ramener en permanence à sa mission fantasmée, la réalisation de l’intérêt général. L’État est en effet une composante intégrale de tous les désastres en cours. Ça n’est certainement pas la situation actuelle qui va leur donner tort.
Nous nous sommes entretenus avec Woodbine, un lieu autonome newyorkais, avec cette question en tête : Que signifie s’organiser politiquement à l’ère de Trump ?

Entretien avec Woodbine, lieu autonome newyorkais

Woodbine a récemment publié un article sur l’organisation pendant la pandémie, « Entraide, distanciation sociale et double pouvoir sous État d’exception » sur le site Rouen dans la Rue. Depuis, ce lieu autonome de New York sert d’interface pour l’entraide et la solidarité dans leur quartier de Ridgewood dans le Queens. Ils ont notamment lancé un garde-manger en collaboration avec une organisation dédiée aux sans-abris.

Nous voudrions à présent publier un entretien réalisé avant la pandémie. Il explore l’histoire de ce groupe et de ses influences et évoque les expérimentations autonomes aux États-Unis. Il y est question de s’inscrire dans la durée, de territoire et de ce que signifie s’organiser politiquement à l’ère de Trump.

Cet entretien est publié simultanément en français, anglais et allemand.

Commençons par présenter votre groupe. D’où venez-vous ?

Woodbine est un lieu d’expérimentation à Ridgewood dans le Queens, un quartier d’ouvriers et d’immigrés de New York. Le collectif qui tient le lieu est né de deux évènements marquants, et de la confusion qui les a suivis, à savoir Occupy Wall Street en 2011 et l’ouragan Sandy en 2012. Ce sont ces deux évènements qui ont donné au lieu son impulsion et sa coloration initiale – penser la révolution et l’apocalypse. Nous avons commencé à emménager dans le quartier de Ridgewood à l’automne 2013 dans l’idée qu’être proches les uns des autres, mettre nos vies et notre temps en commun nous permettrait de mieux collaborer.

Nous étions un certain nombre à nous connaître avant Occupy. On s’était rencontré dans des mouvements anti-mondialisation, anti-guerre, des occupations étudiantes en 2008 et 2010, on se fréquentait à des expos, des projections de films, des groupes de lectures etc. Mais on était dispersé à travers la métropole, parfois à plus d’une heure de transport les uns des autres. Pendant des années, les gens parlaient de se rassembler dans un quartier, d’accroître notre densité et notre puissance, de partager un rythme et un rapport commun à la ville. Woodbine était notre QG pour cette expérimentation. Des gens s’y sont rencontrés et s’y organisent encore aujourd’hui.

Que pensez-vous des développements récents de la politique radicale américaine ? L’élection de Donald Trump a-t-elle fait sortir des gens de leur torpeur ?

Donald Trump a été élu le 8 novembre 2016. Le même jour, notre ami Clark qui était en chemin vers l’occupation de Standing Rock est décédé dans un accident de voiture. Clark avait ouvert Woodbine avec nous, il avait réalisé nos vidéos « Une résolution » et « À ceux qui ne peuvent pas respirer », il avait aussi co-fondé un jardin collectif à Ridgewood et grandement contribué à l’extension des dynamiques de Woodbine dans le nord de l’État de New York. L’élection de Trump nous a choqués, mais nous étions si accablés de chagrin que nous n’avons pas pu participer activement aux manifs ni même mesurer ce que tout cela signifiait. Par la suite nous avons bien sûr été forcés de repenser profondément la manière dont nous nous organisions, ce qu’on faisait et pourquoi on le faisait, quels étaient nos buts, qui était ce « nous » et comment nous pouvions continuer. Vu la nouvelle réalité et le futur qu’imposait soudainement l’élection de Trump, mener cette réflexion était une tâche difficile.

L’élection de Trump a en effet secoué les gens à travers le pays. Ça a lancé trois tendances, mais aucune n’a vraiment renouvelé l’horizon politique. La première est celle du mouvement anarchiste et antifasciste. Il a pris la forme de manifs contre l’investiture de Trump en janvier 2017, et d’affrontements de rue contre le mouvement nationaliste et fasciste visiblement revigoré par l’élection. Même si initialement nous étions critiques et même un peu méprisants de la quantité d’énergie monopolisée par l’antifascisme, il faut reconnaître qu’elle a réussi à délégitimer le suprémacisme blanc aux États-Unis, dont la forme décomplexée a disparu depuis de la sphère publique.

La deuxième tendance est issue du « socialisme démocratique » que professe Bernie Sanders. Son expression la plus visible est l’accroissement du nombre de membres du DSA (Democratic Socialists of America). Il y avait 6000 membres en 2016, puis 25 000 en 2017, il y en a désormais autour de 50 000. De fait, cela signifie que le DSA est la plus grosse formation radicale que les États-Unis aient connue en un siècle. Elle est une curieuse combinaison de marxistes à l’ancienne, de militants bien-intentionnés, et d’électoralistes opportunistes. À l’extrême-gauche, c’est devenu la force hégémonique. Elle absorbe un large pan de la jeunesse, elle attire des gens fraîchement politisés, des anciens membres de micro-sectes, des gens qui voulaient faire de l’entrisme et qui finalement s’y sont voués corps et âme – même des anarchistes et des antifascistes ont rejoint le navire1.

La troisième tendance notable concerne le parti démocrate. Trump a gagné la présidentielle, et en même temps le parti républicain a emporté le Sénat, la Chambre et la plupart des positions de gouverneur et des législations de chaque État. Les démocrates ont utilisé le triomphe de Trump comme un alibi bien commode pour décrire à peu près n’importe laquelle de leurs actions comme leur contribution à « La Résistance ». Le DSA est en grande partie complice de ce développement. Même s’il est une rébellion au sein du parti démocrate, sa stratégie implique essentiellement d’investir une immense quantité d’énergie, de ressources et de fonds dans l’infrastructure du parti, en organisant des campagnes électorales ou législatives, ou bien en défendant des réformes spécifiques.

Tous ces développements ont attiré énormément d’attention, et ont confisqué une bonne part de l’élan et de la clarté qui animaient les expérimentations autonomes. Les gens se sont réveillés face à Trump, certes, mais ce qui a émergé pour l’affronter a pris des formes traditionnelles et institutionnelles, sans que nous ne puissions encore savoir si c’est pour le meilleur ou pour le pire. Peu importe à quel point Trump et Bernie ont déstabilisé le statu quo. Ces remous à l’intérieur de la classe politique ont provoqué un réinvestissement affectif de la politique classique.

Quelles sont les traditions théoriques qui influencent votre collectif ? Pourriez-vous nommer les écoles sur lesquelles vous vous appuyez le plus dans votre pratique ?

Nous nous méfions de l’orthodoxie comme base de l’organisation, parce que le dogmatisme et les querelles de chapelle sont ce qui nous a originellement éloigné de l’extrême-gauche, de la culture militante et des milieux radicaux. Plutôt que d’une politique ou d’une littérature spécifique, notre communauté est née d’amitiés, d’expériences de lutte partagées, de la reconnaissance d’une disposition commune envers la vie. Le cadre politique qui a ensuite orienté Woodbine est celui de l’autonomie et peut-être du « double pouvoir »2 pensé localement, dans notre contexte, notre ville, notre quartier. Expérimenter et croître par réseau plutôt que dans une institution ; faire croître et prendre soin d’une communauté qui peut rendre tout cela réel.

Les penseurs qui nous ont le plus influencé et qui nous ont fourni notre vocabulaire conceptuel sont sans doute Giorgio Agamben, Tiqqun et le Comité invisible. Ils forment une tradition de pensée qui pense le communisme en-dehors du marxisme. Certains mouvements vivent ce communisme aujourd’hui, notamment le mouvement kurde pour la liberté en Turquie et en Syrie, l’expérience zapatiste pour l’autonomie au Chiapas, ainsi que la Mohawk Warrior Society dans le nord de l’État de New York et au Canada. Nous avons pris soin à nos débuts de rendre visite à chacun de ces groupes. Contrairement à eux, notre communauté n’est pas ethnique et nous n’avons pas de terre ancestrale pour laquelle lutter. Étant à New York, nous avons réfléchi à ces questions avec des gens comme Ben Morea des Motherfuckers, Kristin Ross, Fred Moten, Silvia Federici, ainsi que d’anciens membres des Black Panthers et des Young Lords. Tous ces gens nous ont influencé et soutiennent ce que nous expérimentons3.

Woodbine est un lieu physique. Nous avons donc aussi été influencés par d’autres lieux newyorkais qui nous ont précédés dans l’expérimentation politique. Il y avait ABC No Rio, un centre social occupé où je suis allé pour la première fois il y a plus de vingt ans, qui m’a introduit à l’histoire des squats du Lower East Side de Manhattan. Ça avait ouvert en 1980, il y avait de la musique, de la nourriture, une bibliothèque-archive, des expos, c’était un moyen de rencontrer des gens hallucinants, surtout pour un ado. Il y avait aussi le Brecht Forum, un centre culturel marxiste dans le West Village, qui avait réussi à faire des évènements quasiment tous les jours, une programmation remarquablement rigoureuse, intergénérationnelle, multiraciale – on pourrait presque dire œcuménique. Ça avait ouvert dans les années 1970 et il y avait trois salles de réunion, trois employés permanents, et des espaces de travail pour une douzaine d’orgas radicales qui menaient des campagnes ou faisaient de la publication. Et puis il y avait 16 Beaver, le loft d’un collectif d’artiste dans le Financial District qui a ouvert en 1999 et où se tenaient des séminaires gratuits, parfois spontanés, des projections, des discussions, souvent lorsque des penseurs venus d’ailleurs ou des amis étrangers étaient de passage. Les évènements avaient un format très libre, ça durait longtemps, et il y avait des longues pauses pour pouvoir cuisiner et manger ensemble. Ces lieux-là nous ont au moins autant influencé que des théoriciens européens. C’étaient des endroits où on était exposé à des idées, à des mouvements, des endroits où un bon nombre d’entre nous se sont rencontrés avant Occupy. C’étaient des endroits qui combinaient la politique, l’art et la vie.

Par ailleurs ces lieux étaient tous à Manhattan et tous ont fermé plus ou moins à la même époque, en 2014 – juste quand nous, on se lançait. Manhattan est le cœur du réseau de transport de New York ce qui veut dire que ces lieux étaient accessibles depuis toute l’aire métropolitaine. Mais à mesure que les pressions de l’immobilier ont transformé la géographie politique et culturelle de la ville, les projets de ce genre ont été repoussés dans Brooklyn et dans le Queens. Ouvrir Woodbine à Ridgewood voulait dire nous situer dans un quartier périphérique et résidentiel. Ça nous a mis sur un chemin différent.

Quelle voie devrait à présent prendre le mouvement autonome aux États-Unis ?

Il nous faut comprendre véritablement ce qu’est l’autonomie, puis nous penser comme un mouvement qui va dans cette direction. « Autonomie » risque de devenir un mot à la mode, du jargon, tout comme « révolution » et « insurrection », ou comme « communisation », un signifiant vide qui peut tout vouloir dire, ou rien. Perdre la prise que nous avons sur les mots est une forme de dépossession. C’est donc que le langage est un terrain de lutte. « Liberté » ou « indépendance » sont des termes qui ont enflammé des gens à travers l’histoire, jusqu’à se battre pour des vies dignes.

Il faut clarifier ce qui rend spécifique notre vision, notre stratégie, notre approche, afin de nous rendre audibles, rejoignables, imitables. Ce qui rend notre mouvement séduisant et puissant, c’est sa vitalité, sa détermination, son charisme. Nous devons réfléchir avec honnêteté et sérieux sur notre expérience d’organisation des 5, 10, 20, 50 dernières années, non pas avec cynisme, mais afin de véritablement apprendre de ce que nous avons déjà fait, ce que nous avons déjà essayé, ce que nous avons déjà pensé. Les démonstrations grandiloquentes ne suffiront pas, il nous faut être à l’écoute, étudier, être humble.

S’organiser soi-même, être autonome et indépendant, tout cela implique un « soi » transparent à lui-même et à ses désirs. Mais ce domaine subjectif, existentiel, est en réalité mouvant, parfois précaire et désespéré. D’où vient la force spirituelle, la certitude, l’assurance de soi ? En quoi sommes-nous la continuation d’un lignage qui remonte à des décennies, voire des siècles, et qui se projette dans le futur pour les générations à venir ? Il est peut-être plus difficile d’envisager qui nous sommes et pourquoi nous luttons que d’anticiper la prochaine émeute, le prochain blocage, la prochaine occupation.

Vous parlez beaucoup du territoire. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ? Et quelles sont vos perspectives à long terme ?

Le territoire évoque quelque chose de plus profond que les bâtiments pour lesquels nous payons un loyer, les routes dont nous n’avons pas décidé le tracé ou les quartiers dont les limites nous ont été imposées par des administrations. « Territoire » nous indique une autre manière de nous rapporter aux endroits dans lesquels nous nous trouvons. Notre stratégie a été de choisir un quartier dans lequel nous organiser, d’étudier son histoire singulière et en même temps d’inventer de nouvelles choses, d’apporter nos propres repères. Pour nous, le territoire renvoie à la dimension spatiale d’un endroit ainsi qu’à son champ relationnel, les gestes qui s’y partagent, les habitudes et les rythmes des gens qui y vivent. Lorsqu’un groupe habite un espace, l’appartenance collective prend un sens nouveau, qu’elle imprime en retour dans le lieu lui-même. Dans Mille Plateaux, Deleuze et Guattari disent que la déterritorialisation et la reterritorialisation sont des processus qui adviennent historiquement, spatialement et métaphysiquement, que nous pouvons en outre interrompre et rediriger. Dans notre texte Le Nomos de la terre, nous écrivions : « Le territoire n’est pas qu’un point sur la carte. Être autonome veut dire devenir puissant par l’entrelacement des liens entre nous. C’est leur endurance qui fait un territoire. Un territoire émerge de l’action collective, et disparaît avec elle. C’est pourquoi il exige du soin, de l’attention, de l’inventivité et de l’organisation. Ça n’est pas quelque chose qui préexiste. Le territoire est un acte, il nous faut le construire. »

En ce qui concerne la temporalité, nous ne vivons pas, pour la plupart, au même endroit que nos parents, nos grands-parents et nos ancêtres, que ce soit sur un autre continent, un autre pays, une autre ville, un autre quartier, ou tout cela à la fois. Pour des raisons politiques et économiques variées, à cause des guerres et de la pauvreté, à cause des famines et des dictatures, il ne nous est pas donné de clamer un héritage direct des lieux que nous habitons. Que nous soyons locataires des lieux où nous vivons et nous organisons, veut dire que les mémoires et les histoires de ces lieux ne nous sont pas transmises. Dépourvus de cet ancrage, il nous est redoutablement difficile de nous projeter dans le futur. Voilà de quoi est faite la précarité de notre présent. Nous sommes abandonnés au monde, bringuebalés de ville en ville, d’une institution à l’autre, d’un quartier et d’un appart à l’autre, chaque fois projetés dans de nouvelles relations contingentes, cherchant les prises qui nous donneront des repères et de la force. Nous avons décidé d’arrimer nos vies à un lieu spécifique et de nous rendre disponibles aux possibilités collectives qu’il ouvrait, mais nous ne pouvions pas tout anticiper. Woodbine entame sa septième année, et lorsque on a commencé, on ne se projetait pas beaucoup dans l’avenir. Même au bout d’un an, on se demandait encore si on allait renouveler le bail et si on trouverait l’argent pour. C’est seulement avec le temps que nous avons commencé à penser en termes d’institution, dans la durée, avec des engagements, en développant notre organisation matérielle et nos ressources. En rupture avec la temporalité militante qui s’éprend chaque saison d’une nouvelle position ou d’une nouvelle obsession, nous avons cultivé une sensibilité à ce que nous lèguerons.

Quelles autres expérimentations radicales vous semblent porteuses aux États-Unis ?

En septembre dernier, une nouvelle organisation appelée Symbiose a tenu son premier congrès à Détroit dans le Michigan. C’est une confédération nationale de groupes locaux qui pensent leur action à partir du double pouvoir et du municipalisme, et Woodbine a participé en tant qu’organisation membre. Symbiose est en grande partie animée par Cooperation Jackson, une organisation noire basée dans le Mississipi. Elle est composée de gens qui viennent de diverses organisations afro-américaines comme la Republic of New Afrika et le Malcolm X Grassroots Movement. On peut dire que Cooperation Jackson s’est détourné d’un cadre maoïste pour se consacrer aux questions d’entraide et aux structures d’organisation dont le modèle est l’assemblée, tout comme les zapatistes et les kurdes. Beaucoup de gens sont excités par ce modèle. Symbiose développe des formes localisées et matérielles de double pouvoir, tout comme les adeptes américains de Murray Bookchin. Il existe des réseaux municipalistes actifs depuis les années 1970, mais ils ont pris de l’élan en particulier depuis que les idées de Bookchin ont été visibilisées par l’expérience du Rojava et l’influence d’Öcalan.

L’une des difficultés que rencontre Symbiose, est que bon nombre de ses membres sont aussi affiliés au Libertarian Socialist Caucus (LSC) du DSA. De nombreux anarchistes et communistes de gauche ont rejoint le DSA ces dernières années et s’organisent au sein du LSC. Le problème pour Symbiose est donc de faire face à la puissance d’absorption de la gauche qu’exerce le DSA à travers le pays. L’autre difficulté, c’est que les municipalistes ont tendance à fétichiser les aspects formels, bureaucratiques et administratifs de la « démocratie directe » au détriment de la question éthique que soulève la pratique du double pouvoir.

Woodbine entretient des liens avec un certain nombre de lieux organisés à partir d’idées et de pratiques communes, comme Tamarack à Oakland en Californie ; South Bend Commons à Atlanta en Géorgie, Flyover à Carbondale dans Illinois ; et 115 Legion à Olympia dans l’État de Washington. Tous ces lieux tenus collectivement ont pignon sur rue. Ce sont des espaces autonomes dans lesquels ont lieu des expérimentations collectives, d’où émergent une sensibilité politique située. Quoique nous ayons chacun notre forme, nous avons une promesse en partage.

1 La force d’appel du DSA est incontournable aux États-Unis, de manière peut-être comparable à celle d’Extinction Rébellion en Europe. La carrière fulgurante de la très jeune représentante newyorkaise Alexandria Ocasio-Cortez reflète la montée en puissance du socialisme américain, tout comme la popularité croissante du journal Jacobin Mag. Le succès du DSA provient en outre de l’organisation en « caucus », c’est-à-dire en factions autonomes et décentralisées. Former un caucus peut se faire sans autorisation du parti. Les caucus ont donné au DSA une force centrifuge considérable, tout en risquant en permanence l’émiettement voire les contradictions politiques. Un épisode cocasse illustre l’ambiguïté de cette stratégie : à l’été 2019, un compte twitter annonce l’inauguration d’un caucus anarcho-primitiviste. De nombreux socialistes s’insurgent de ce qui n’avait d’existence que parodique. (Toutes les notes sont des traducteurs)

2 Un article récent de Rouen dans la rue en donne cette définition éclairante : « La notion de double-pouvoir trouve sa source dans la révolution russe. Il s’agit du moment où la révolution fait apparaitre des formes d’organisations révolutionnaires (les soviets) qui viennent concurrencer, et potentiellement défaire, les formes antérieures de pouvoir (le gouvernement provisoire). Le sens de ce concept change une fois qu’on a abandonné la perspective léniniste de prise du pouvoir. Le double pouvoir désigne alors les formes politiques autonomes qui se constituent en dehors de l’État. Elles marquent déjà l’échec de son hégémonie et indiquent qu’une implantation territoriale et matérielle réelle peut se développer en dehors de lui. La ZAD pourrait en constituer une illustration. » https://rouendanslarue.net/entraide-distanciation-sociale-et-double-pouvoir-sous-etat-dexception/

3 Ben Morea était membre du groupe révolutionnaire Up Against The Wall Motherfucker, un entretien est paru avec lui sur lundi.am ; Kristin Ross est notamment connue pour ses livres sur Mai 68 et sur la Commune de Paris et a traduit en anglais Contrées. Histoires croisées de la zad de Notre-Dame-des Landes et de la lutte No TAV dans le Val Susa du collectif Mauvaise Troupe; Fred Moten est l’auteur du livre The Undercommons. Fugitive Planning and Black Study (à paraître dans une traduction collective aux éditions Brook en 2021) ; Silvia Federici est l’auteure féministe de Caliban et la sorcière, un ouvrage sur l’accumulation primitive et le corps des femmes ; les Young Lords étaient une organisation révolutionnaire portoricaine implantée à New York et Chicago et modelée sur les Black Panthers. Claire Richard a écrit un intéressant livre documentaire sur ce groupe, intitulé Young Lords. Histoire des Blacks Panthers Latinos.

À propos de l'auteur

Sophie Anderson

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