Nous nous sommes rendus cet après-midi sur les lieux du sinistre pour essayer de nous faire une idée plus précise du désastre.
Les points d’accès à l’usine sont bloqués par des barrières et gardés par des policiers sans grande conviction. Ils ne portent pas même un masque et n’ont pas l’air particulièrement inquiets. De toute façon si ils avaient voulu se protéger, ils n’ont pas le matériel nécessaire. Une deuxième équipe plus véhémente nous ordonne sèchement de quitter les lieux. Il est absurde de rester ici nous dit l’un d’entre eux si c’est pour venir se plaindre dans 10 ans qu’on a attrapé un cancer. Quand je lui fais remarquer qu’il est à la même place que moi mais sans protection, il me répond que lui il n’a pas le choix. De là où nous sommes nous constatons une petite fumée se dégage encore de l’incendie. Des équipes sont toujours mobilisés pour inonder le foyer d’un jet d’eau continu.
Nous rencontrons un habitué des lieux qui nous propose de nous emmener à l’endroit où les équipes de dépollution essaient tant bien que mal de pomper les nappes hydrocarbures. À cet endroit l’odeur est suffocante. Un mélange de gaz, d’oeuf pourri et de soufre. Nous sommes pourtant équipé d’un sérieux masque à gaz. Rive gauche en face des quais, la scène est hallucinante. On croise un joggeur et de l’autre côté de la Seine on voit des familles et des enfants qui font leur promenade du dimanche. Certains sont à vélo.
Arrivé sur place, on tombe nez à nez avec une masse noirâtre et visqueuse. Ça ressemble à une mini marée noire. Deux hommes en bateau s’activent pour essayer de pomper ce liquide. S’ils sont en combinaison, ils portent un petit masque de papier ridicule sur le nez alors qu’ils ont littéralement les mains dans la merde.
Sur les berges, des camions qui appartiennent à ses entreprises de dépollution. Des hommes s’affairent sans qu’on ne comprenne réellement ce qu’ils font. Le but de l’opération consiste à pomper ce liquide pour remplir des citernes en plastique. Des barrages fait de bouées ont été disposés à plus de 300 m. Un bateau provoque un courant artificiel en projetant en permanence de l’eau à haute pression pour regrouper tous les déchets dans le coin où nous trouvons.
Seule une personne porte un masque à gaz à cartouche. Personne n’a l’air particulièrement inquiet. Personne ne veut s’attarder trop longtemps à discuter.
Y a-t-il vraiment aussi peu de risque que le laisse présager les équipements et les comportements des hommes qui travaillent ? Existe-t-il des entreprises encore assez cyniques pour faire travailler des gens dans ces conditions tout en connaissant les risques mais sans fournir les protections nécessaires ? L’urgence justifie-t-elle qu’on ne se pose pas trop de questions ?
Sur le chemin du retour, nous réussissons à dissuader un pêcheur de mettre sa ligne dans les parages en lui présentant le monstre noir tapis dans ce coin de bras de Seine. Nous croisons un jeune couple d’amoureux, tout à sa promenade romantique et à ses baisers langoureux.
Nous portons toujours nos masques à gaz.