Ouverture des frontières pour les travailleurs étrangers dont les patrons de l’agriculture ont besoin, recrutement de médecins étrangers moins couteux et moins payés pour les hopitaux, le COVID-19 révèle et renforce une tendance propre à l’alliance entre le gouvernement et l’économie : l’utilisation cynique de la main d’oeuvre étrangère. Le point sur ce racisme d’Etat structurel.
Le sort réservé par le gouvernement aux étrangers et aux migrants s’inscrit normalement dans une logique qui allie répression, invisibilisation et maintien dans la plus extrême précarité. On exerce un contrôle policier néocolonial dans les quartiers populaires où vivent les personnes issues de la colonisation. On enferme les migrants dans les centres de rétention avant de les expulser. On détruit les bidonvilles pour éparpiller la misère et on refuse des papiers à ceux qui vivent sur le territoire pour les maintenir dans une fragilité exploitable. Quant aux parents d’enfants français qui vivent et travaillent légalement en France depuis de nombreuses années, on leur refuse l’identité nationale et du même coup le droit de vote. Le mythe démocratique n’est pas pour eux, ce sont des citoyens de seconde zone.
Il s’agit d’entretenir le consensus national chauvin sur lequel s’appuie nécessairement le mythe de la communauté nationale. Il y a « eux » et il y a « nous », les étrangers et les nationaux. Il n’est jamais aussi facile pour un gouvernement de détourner la colère dont il est l’objet que de pointer l’étranger comme la cause de tous « nos » maux. La recette est grossière mais elle marche. Ils auraient tort de s’en priver.
D’autre part, la main d’œuvre immigrée « irrégulière » constitue un « stock de travailleurs » auxquels on va réserver les emplois les moins bien payés, les plus dangereux et les plus dégradants. Sans droit, payés au lance-pierre, sur les chantiers comme à l’arrière des cuisines, ils acceptent le pire. Cette armée de réserve industrielle permet alors de mettre la pression sur les conditions de travail générales pour les tirer vers le bas. Et selon la vieille tactique du diviser pour mieux régner, de mettre en concurrence les différents travailleurs, français et immigrés par exemple, pour le plus grand profit des patrons.
Il est un cas pourtant, où la gestion des travailleurs étrangers à l’air plus bienveillante. C’est quand il s’agit de recruter une main d’œuvre spécifique correspondant à un besoin clairement identifié. C’est un vieux fantasme qui pue la merde et qui agite nos politiques, celui de « l’immigration choisie » et non « subie » : organiser l’immigration en fonction des besoins des entreprises ou même des services publics. En gros, faire de l’immigration un marché calqué sur le marché du travail. Le principe est simple, il s’agit d’octroyer une autorisation d’immigrer en même temps qu’un permis de travail. Il s’applique aux emplois très qualifiés ou au contraire très peu qualifiés et témoigne d’un arrangement entre les patrons et leurs besoins, et l’Etat qui accompagne et réglemente la réponse à ces besoins.
LE COVID-19 aura également permis de réactiver, entre milles autres horreurs, cette gestion purement économique de l’immigration. On s’en sert tant qu’on en a besoin, en l’exploitant au maximum, et on s’en débarasse quand le moment est venu.
Premier cas de figure, « le manque de bras » dans l’agriculture comme ils disent, directement lié à la fermeture des frontières actuelle. Jeudi 14 mai, le gouvernement a confirmé que les travailleurs européens étrangers, détenteurs d’un contrat de travail, pourraient déroger à la fermeture des frontières et venir prêter main-forte aux agriculteurs français. Même ceux situés hors de l’espace Schengen. Il s’agit évidemment de l’agro-industrie dont les besoins pour les récoltes vont doubler sur le mois à venir en passant de 45.000 à 80.000 personnes. Dans nombre de régions, les tractations allaient déjà bon train avec les préfectures pour obtenir des dérogations et faire venir Roumains et Bulgares. En revanche, la Tunisie ou le Maroc (10 % des saisonniers habituels) ne sont pas concernés.
Il ne s’agit évidemment pas d’une spécificité francaise. Le gouvernement canadien vient de prendre une mesure similaire. « L’Union des producteurs agricoles (la FNSEA canadienne) se dit «soulagée» de la décision du gouvernement fédéral, qui a indiqué que les travailleurs étrangers temporaires (TET) pourront entrer au pays, malgré la fermeture de la frontière entre le Canada et les États-Unis et d’autres restrictions de déplacement », peut-on lire dans le journal canadien Le droit.
Le deuxième cas de figure, concerne cette fois une main d’oeuvre hautement qualifiée, celle des médecins. En Europe, un quart des praticiens ne sont pas nés dans le pays où ils exercent. Le monde vient de consacrer une enquête sur le sujet : « les systèmes de soins des pays riches reposent de façon considérable sur des professionnels de santé étrangers ». C’est le même cynisme qui est à l’oeuvre : « Les médecins font de plus en plus l’objet de politiques migratoires, reflétant le besoin criant qu’en ont les pays d’accueil ».
L’intérêt est triple. Les migrations de professionnels de santé permettent de combler la pénurie et le manque de personnel. En France, par exemple, plus du quart des postes de praticiens hospitaliers à temps plein ne sont pas pourvus, faute de candidats. Deuxième avantage, les médecins étrangers sont moins coûteux car ils permettent d’économiser les frais de formation qui sont supportés par les pays d’origine. « Recruter à l’extérieur est jugé très pratique : il suffit d’appuyer sur le bouton pour stopper ou relancer les recrutements ». Les différents pays puisent largement dans leurs anciennes colonies. En France par exemple, ce sont les praticiens Algériens et Marocains qui sont les plus représentés où 11,8% des médecins actifs sont nés à l’étranger.
Mais surtout, les praticiens étrangers sont soumis à des conditions de travail plus difficiles et plus pénibles. Le monde précise : « En France, les médecins étrangers font plus d’heures, travaillent plus souvent la nuit et le dimanche, et à compétence égales, sont moins bien payés que leurs collègues. Les inégalités sont plus marquées encore quand il s’agit de ressortissants extérieurs à l’UE. Une partie d’entre eux reste cantonnée à des statuts précaires de faisant fonction d’interne. »
Ils sont évidemment en première ligne dans la crise sanitaire d’aujourd’hui.
Bien plus dur que le racisme « individuel » du petit français aigri et impuissant qui se soulage comme il peut en votant FN, nous touchons ici au racisme d’Etat par lequel un gouvernement encadre et accompagne cyniquement l’immigration pour le seul intéret des entreprises et de ses services publics. Racisme structurel qui fait partie intégrante de l’ennemi qui nous fait face et qui en même temps nous traverse car il commande nombre de nos représentations. A abattre.