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L’après G7 : « Il n’y a plus à s’indigner des trahisons répétées de la gauche »

Retour critique sur le non-événement du contre-sommet de Biarritz. Par des lecteurs.

Nous sommes venus au Pays Basque en essayant de ne pas nous raconter d’histoires. Nous avons d’abord, à notre arrivée, été frappés par l’étrange atmosphère de normalité qui régnait sur Hendaye, alors que Biarritz et Bayonne étaient totalement militarisées, que se déployait partout ailleurs une forteresse sécuritaire écrasante. Nul état de siège - ni policier, ni contestataire -, nous errions dans l’hostilité générale d’une de ces détestables stations balnéaires, nous ne rencontrions partout que la déchéance des touristes. Le fait d’avoir passé tant d’heures à emprunter de petites routes inconnues pour éviter les contrôles, toutes les précautions prises pour déjouer le démentiel quadrillage policier du territoire, apparut soudain quelque peu surréaliste.

« Qu’est ce qu’on fout là ? »

Nos discussions laissaient entendre que chacun finissait par se demander au juste « ce qu’on foutait là ». Tout au plus, quelques points de contrôle aux entrées de la ville, la présence discrète de quelques voitures de BAC - que seul un œil aux aguets pouvait percevoir -, et quelques tags appelant à perturber la cérémonie mortelle des seigneurs de ce monde, nous permettait de soupçonner qu’il pouvait bien « se passer quelque chose ». Et de fait, on peut aussi bien dire qu’il ne se passa rien, que ce contre-sommet fut à tous égards un non-événement au regard de la poussée insurrectionnelle qu’ont incarné les gilets jaunes depuis leur surgissement. Il faudra attendre l’intervention salutaire de la manifestation féministe en mixité choisie du jeudi soir, appelant à la nécessité d’abolir le patriarcat et tous les types d’exploitation des êtres vivants, pour que soit, pour un instant, subverti l’ordre de la ville.

Un rituel disciplinaire et fastidieux

Le moins que l’on puisse dire c’est que tout se passa, tout au long de la semaine et du week-end, comme si les gilets jaunes n’avaient pas eu lieu. Comme s’il s’agissait, pour des organisations de gauche que le mouvement des gilets jaunes a destitué, d’une tentative désespérée pour conjurer leur propre anéantissement. Comme si au moment où ils n’étaient déjà plus rien, où leurs vieilles manières étaient déjà finies, ils nous offraient - en un dernier spasme - une ultime représentation de leur théâtre de l’impuissance. Une pièce qui s’achève en queue de poisson par une collaboration inouïe avec les forces répressives de l’État et par l’annulation pure et simple des actions prévues pour le dimanche. La tragi-comédie grotesque dont la plateforme « G7 EZ! » nous a offert le triste spectacle aura au moins rendu évident qu’il n’y a rien à attendre du cadavre de la gauche, de ces grumeaux de malheur de gauchistes alternativistes, avec qui il convient donc de faire sécession. Leurs « manifestations » et « actions citoyennes » prennent - comme ce fut le cas à Hendaye - de plus en plus visiblement et grossièrement le tour d’une opération de neutralisation de toute conflictualité politique réelle qui ne se réduise pas à de la pure com’, d’un petit rituel disciplinaire fastidieux offert en divertissement aux petits bourgeois indignés et aux agents de comptage et autres cadres des préfectures.

On voyait bien que toute cette pitoyable petite militance ne faisait que manœuvrer, avec un petit fanatisme spécial, pour nous raccommoder avec la « démocratie », pour enfermer l’événement dans sa représentation médiatique. Pour conjurer jusqu’à la possibilité même d’un authentique assaut donné au G7 par de petites satisfactions toutes symboliques, fabriquées à peu de frais, qu’ils s’employaient à célébrer fallacieusement comme des victoires. Comme si, comme s’en réjouissent les portes-parole de la plateforme, ce contre-sommet pouvait être qualifié de « réussite » parce que quelques milliers de personnes y ont « participé », quand tout le monde ne faisait ici que mimer honteusement un folklore contestataire. Que jouer à un petit jeu pathétique. Que peut-on dire de ce contre-sommet et en définitive, de cette université d’été de la gauche, sinon que ça n’était même plus si gros, même plus si massif - comme ceux là s’en enorgueillissent si souvent - mais toujours aussi plein de vide… Sinon qu’il nous enseigne une nouvelle fois comment les triomphes des démocrates de gauche sont les défaites du mouvement révolutionnaire ? On aura donc vu l’autonomie basque mourir deux fois, une fois par la répression, une deuxième par son intégration démocratique.


On voyait bien, dans le moindre de leurs gestes, qu’en dépit de leurs postures de justes, les militants de la plateforme, ces grands prêtres de gauche, ces bâtisseurs de « mouvements citoyens », ne s’adressaient ni ne se confrontaient au pouvoir mais bien plutôt - dans leur obsession du « consensus d’action » et du « tous ensemble » obligatoire - à ceux qu’ils sentaient derrière eux, au milieu d’eux, invisibles, imprévisibles, potentiellement déviants, à ces « porteurs de peste », qui pourraient faire irruption et nuire à la « belle image » (« de marque ») du mouvement…

Il n’y a plus à s’indigner des trahisons répétés de la gauche

A Hendaye, le dispositif policier n’était même plus nécessaire : les petites mains aux sourires niais de la plateforme suffisaient très bien à faire régner l’ordre. Il fallait voir, au départ de la manifestation, les militants d’Alternatiba fouillait avec zèle chaque « cachette » potentielle pour y dénicher du matériel défensif et/ou offensif que quelques « incontrôlés » en rupture avec le consensus d’action auraient pu dissimuler… Il fallait les voir s’opposer de leurs corps à la potentielle destruction, par un ennemi quelconque, des vitrines des banques… Oubliez le virilisme classique du service d’ordre aux gros bras. Ici, une commission « médiation » de citoyens - entendez : de militants de la plateforme - était chargée d’assurer la « sérénité » de tous. Arborant un brassard vert, on pouvait voir quel « environnement », en définitive, ces fiers écolos’ se sentent la responsabilité morale de défendre : celui de la métropole marchande et policière, celui du tourisme de masse, celui du désert urbain, mais sûrement pas les mondes sauvages que ravage un peu plus chaque jours les feux de politiques économiques prédatrices. Leur vague psalmodie d’une rhétorique anticapitaliste verte aura du mal à cacher qu’ils sont, dès lors qu’une situation vient briser le consensus social, les premiers défenseurs de la société. Mais leur reprocher cela serait leur reprocher d’être ce qu’ils sont. Il n’y a pas à s’indigner des trahisons répétées de la gauche, il y a à s’organiser pour rendre sa mort inéluctable : nous ne pouvons pas laisser l’espace à la gauche gestionnaire de se recomposer sur le dos de nos luttes.