Tout le monde en parle, une crise économique et financière pourrait, devrait même, succéder à la crise politique et sanitaire actuelle. Mais c’est quoi une crise économique, et comment ça marche ? Des amis férus d’économie nous proposent une série de trois articles pour y voir plus clair et comprendre la crise qui vient. Le premier c’est par ici. Voici le deuxième épisode : la crise de l’euro.
Deuxième partie : La crise de l’euro
Dans l’article précédent, nous nous sommes intéressés à la crise de 2008, dite des « subprimes ». Cependant, nous n’avons pas abordé l’une de ses conséquences les plus surprenantes, c’est-à-dire la crise qui a secoué la zone euro à partir de 2010. Celle-ci a durée des années, a eu des conséquences désastreuses pour des pays entiers et failli emporter avec elle l’Euro, monnaie en place depuis moins de 10 ans. De nombreuses raisons ont été données pour nous expliquer cette crise, considérée comme une crise de la dette. Au choix, la « fainéantise des pays du sud », leur recours un peu trop facile à l’endettement, leur système social trop généreux. Évidemment les médias traditionnels ont expliqué cette crise en culpabilisant ceux qui allaient payer, sans se demander si le ver n’était pas déjà dans le fruit de la doctrine économique en vigueur en Europe. Et oui, et si cette crise était avant tout la crise du fameux modèle Allemand, ce modèle tant loué par les analystes en tout genre ? Pour mieux comprendre cela, intéressons-nous tout d’abord aux fondements idéologiques, politiques et économiques de la zone euro.
Lors de la création de la zone euro, c’est le point de vue Allemand qui va prévaloir dans la constitution des règles que devront suivre les pays adoptant la monnaie unique. Et quand on parle de point de vue, on parle ici d’un courant de la pensée économique libérale appelé ordolibéralisme. Pour le situer un peu plus précisément, il s’agit d’un courant né en Allemagne dans les années 30 et se situant à l’intersection du capitalisme keynésien et du capitalisme ultralibéral à l’anglo-saxonne.
> Le capitalisme keynésien accorde une grande place à l’Etat en tant qu’acteur économique, avec une capacité d’endettement et d’investissement importante par exemple.
> Le capitalisme ultralibéral cherche quant à lui à diminuer le plus possible la part de l’Etat dans l’économie.
Plus précisément, l’ordolibéralisme repose sur un certain nombre de postulats :
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Les acteurs économiques doivent être en situation de concurrence, le stress et la compétition étant des facteurs de plus grande efficacité pour créer de la richesse. C’est là qu’intervient l’Etat, censé créer le cadre et garantir que les règles du jeu seront respectées. Il a en quelque sorte un rôle d’arbitre afin de permettre la mise en place d’une concurrence libre et non faussée. L’Etat peut aussi intervenir sur des domaines comme la santé et l’éducation. Il n’est donc pas exclu du jeu économique, mais il ne doit pas intervenir si des acteurs privés peuvent le faire à sa place.
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Le budget de l’Etat doit être à l’équilibre, c’est-à-dire que l’Etat ne doit pas pouvoir dépenser plus qu’il ne reçoit d’argent. En effet, selon cette théorie, l’Etat n’étant pas soumis à la concurrence, il ne peut pas créer de richesse de façon optimale. L’Etat peut donc gérer des écoles et financer la santé, mais dans la limite de son budget. C’est de là que vient la fameuse règle des 3% qui interdit aux Etats de s’endetter à hauteur de plus de 3% du PIB.
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L’épargne des ménages doit être orientée vers les marchés financiers afin que ceux-ci prêtent ensuite aux entreprises. Cela afin d’en permettre l’utilisation la plus efficace possible
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Maitriser le niveau des prix, c’est-à-dire que l’inflation doit rester très faible, l’inflation étant la hausse générale des prix. (Il s’agit d’un critère extrêmement important pour les Allemands, traumatisés par l’hyperinflation des années 20 qui ruina leur économie.)
Selon cette théorie, l’inflation tire son origine de la création monétaire issue des banques centrales. Afin d’éviter que les états ne créent trop de monnaie, les Banques centrales doivent donc être indépendantes. Cela évite que les états, pour des raisons électorales par exemple, n’utilise la planche à billet, c’est-à-dire créent de la monnaie en cas de difficultés économiques. Au-delà de l’indépendance, c’est pour cette même raison que la Banque Centrale Européenne a interdiction de prêter directement aux états membres. Cette règle va expliquer en grande partie l’ampleur prise par la crise qui démarre en 2010.
Ces différentes règles vont donc s’appliquer avec plus ou moins de rigueur aux différents membres de l’Union Économique et Monétaire de l’Union Européenne. Le problème, c’est que, comme toute théorie économique se voulant scientifique, elle pose des hypothèses qui sont, au pire, fausses ou au mieux, invérifiables. Malgré les affirmations des économistes libéraux, l’économie n’est certainement pas une science. Aussi, selon ce courant de pensée, il est inutile et même contreproductif de lutter contre les crises. Plonger des millions de personnes dans la misère et la précarité n’est qu’une « mauvaise période » à passer avant de connaitre des jours meilleurs. La théorie déconnecte ici la réalité sensible et affective des « agents économiques » des mesures mises en place pour le bien-être de l’économie.
C’est donc ce qui explique que les états européens se sont coupés des deux capacités d’interventions économiques à leur disposition, la politique budgétaire (l’état va par exemple dépenser de l’argent pour soutenir l’activité économique) et la politique monétaire (possibilité pour l’Etat, via sa Banque Centrale, d’agir directement sur la création monétaire).
Cela a fonctionné un temps, c’est vrai. Mais lorsque la zone euro a subi la crise des subprimes c’est tout son équilibre qui a rapidement été remis en question.
En effet, à partir de 2008, l’ensemble des pays vont souffrir de la crise des subprimes. Cependant, à partir de 2010, la situation s’améliore sensiblement pour l’ensemble des zones économiques, à l’exception de la zone euro. Toutefois, au sein de cette zone euro on peut distinguer 2 groupes de pays.
Les pays dits du Nord (Allemagne, Autriche, Pays-Bas) et les pays du « SUD » (Portugal, Irlande, Grèce, Espagne, les « PIGS » comme les avaient amicalement surnommé les médias), la France étant dans une position médiane. Pour les pays du Nord les effets de la crise des subprimes vont rapidement s’atténuer dès 2009 avec une baisse du chômage et une stabilisation de l’endettement. Pour les pays du sud la situation est plus compliquée, le chômage passe en moyenne de 7,4% avant 2008 à 18,5% en 2013. Leur taux d’endettement continue d’augmenter et ils n’arrivent pas à renouer avec la croissance. Face à ces difficultés croissantes, les marchés financiers vont tout simplement décider de ne plus prêter à ces pays, qui se retrouvent donc dans l’impossibilité de faire face à leurs dettes. Face à cette situation, la plupart des pays feraient appel à leur Banque Centrale pour se financer. Mais, nous l’avons vu, c’est interdit par les traités européens. Afin de permettre à ces différents pays de faire face à leurs emprunts, va se mettre en place ce qui sera appelé la Troïka, composée de représentants de la Commission Européenne, du FMI, et de la BCE. Les états concernés ne vont donc plus se tourner vers les marchés financiers pour se financer mais auprès de cette Troïka. Pour faire simple, l’Union Européenne, à travers deux entités le FESF, créé en 2010 (Fonds européen de stabilité financière) et le MESF créé en 2011 (Mécanisme européen de stabilité financière)) va emprunter sur les marchés financiers pour ensuite prêter les fonds aux états en difficultés. Ces prêts étant garantis par les autres états de l’Union Européenne, les marchés vont donc prêter à des taux favorables, faisant confiance aux pays comme l’Allemagne ou la France pour rembourser en cas de besoins. Au sein de la Troïka, la BCE aura un rôle de conseil et le FMI prêtera aussi directement aux états en difficultés.
Cependant, ces prêts ne seront pas effectués sans contrepartie et l’on demandera aux états bénéficiaires des « ajustements structurels ». Habituellement ces fameux ajustements structurels, de sinistres réputations, étaient plutôt réservés aux pays dits pauvres d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique du Sud. L’objectif de ces ajustements structurels est de faire en sorte que la réalité de ces pays colle le plus près possible à la théorie ordolibérale. On va donc les forcer à privatiser, flexibiliser le marché du travail, baisser les pensions et les salaires des fonctionnaires par exemple. Autrement dit, des pays se portent garant pour d’autres, sous réserve que ceux-ci s’engagent à prendre un virage libéral drastique.
Ces différentes mesures auront le plus souvent pour conséquences d’accentuer un peu plus la crise et la misère dans les pays concernés. Même le FMI le reconnaitra par ailleurs dans une note au sujet de la Grèce en disant que ces politiques imposées auront pour conséquence « une sévère contraction de la demande et une profonde récession en conséquence, mettant à rude épreuve le tissu social ».
La Grèce sera d’ailleurs la victime emblématique de ces mesures. Pourtant, contrairement aux affirmations de certains médias, les Grecs travaillaient plus d’heures par semaine que la moyenne Européenne et leur âge de départ en retraite était assez important (environ 65 ans). Les dépenses de l’Etat n’étaient pas beaucoup plus importantes que dans la plupart des autres pays même si l’on peut noter une augmentation du déficit pour faire face aux effets de la crise. Alors on peut logiquement se demander pourquoi la Grèce a subi la crise avec une telle violence ? Les raisons sont multiples mais on peut notamment dire que, premièrement, le pays est de petite taille, et qu’il est donc facile pour les marchés de se passer de son marché de la dette, ce qui est moins le cas de pays comme la France et l’Allemagne. Deuxième raison, il s’agit d’un pays relativement pauvre avec une industrie ayant un faible niveau de technicité. Les investisseurs vont donc se détourner de la Grèce massivement à partir de 2010 jusqu’à l’impossibilité même pour le pays de faire face à ses emprunts. Elle va donc devoir se tourner vers la Troïka afin de pouvoir emprunter et continuer à faire face à ses dépenses courantes.
Les contreparties imposées par la Troïka vont avoir pour conséquences une chute de la richesse et une explosion du chômage, qui était à 27% en 2013. C’est bien une véritable catastrophe économique et sociale qu’a connu le pays, dont on sent encore aujourd’hui les secousses ; le chômage y est toujours de 16,7% malgré une importante émigration des jeunes Grecs, notamment vers l’Allemagne. Pour rembourser ses emprunts on a donc imposé à la Grèce une austérité qui a encore accentué ses difficultés, s’assurant au passage qu’elle adhère entièrement à la théorie ordolibérale en place. Le sacrifice d’un des leurs a été largement préféré par les dirigeants des pays européens, nous le constatons, à la remise en question du modèle en vigueur.
Cet événement historique, tragique pour le peuple grec laisse envisager le pire quant à la prochaine crise, dont les premiers éléments laissent à penser qu’elle sera bien pire que celle des subprimes. L’Allemagne, s’en sortant particulièrement bien dans la gestion de la crise sanitaire actuelle, voit sa position de leader européen un peu plus solidifiée, et ne semble pas souhaiter s’écarter durablement du chemin ordolibéral. Dans un prochain article nous tenterons de voir qu’elle est la situation actuelle et en quoi les solutions pour y remédier ne sont que des répétitions des actions passées qui, nous l’avons vu, n’ont pas apporté les « Jours Heureux » attendus.