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Crise alimentaire dans les quartiers populaires - Le préfet du 93 craint des émeutes de la faim

Le confinement est en train de générer une situation sociale catastrophique. Il y a ceux qui ont encore un travail et prennent tous les risques pour le garder. Ceux qui n’en ont plus depuis longtemps. Et il y a ceux qui ont faim. Les quartiers populaires entrent dans une crise alimentaire dont les conséquences pourraient être sans précédent, même s’ils encore soutenus par un faisceau de solidarités inédites, réinventées dans l’urgence. En France, les « files d’attentes de la faim » s’allongent de jour en jour.

A Marseille, les associations traditionnelles peinent à répondre à la demande, et même la plus petite initiative de quartier crée des files interminables. A la cité de la Maison-Blanche dans les quartiers nord, la soupe populaire distribue 700 repas par jour. La majorité vient de dons alimentaires individuels.

En Seine-Saint-Denis (93), la situation est affolante : « si on remplit le frigo, on chope le corona » disent les habitants dans les longues files. Le préfet du département constate que “L’économie souterraine, de rapine, ‘l’uber-économie’ et l’effondrement de l’intérim ont provoqué une baisse importante et brutale des revenus des précaires de Seine-Saint-Denis”, et il a même alerté de possibles risques « d’émeutes de la faim » :

« Nous comptons entre 15 000 et 20 000 personnes qui, entre les bidonvilles, les hébergements d’urgence et les foyers de travailleurs migrants, vont avoir du mal à se nourrir ».

D’innombrables réseaux d’entraides ont vu le jour, mais la demande augmente chaque jour. Devant les soupes populaires, “les files d’attente ne diminuent pas, et ce ne sont pas des habitués, ce sont des salariés”, confie un élu local. “Ce qui était jouable sur un mois de confinement ne le sera pas sur deux.”

Cette crise alimentaire est aussi mondiale : depuis le début du confinement, il y a 22 millions de chômeurs aux Etats-Unis, et le nombre de gens ne mangeant pas à leur faim a été multiplié par trois en Europe. Cependant, ce n’était que le début de la crise, et ses conséquences sur le long terme sont encore plus alarmantes, elle va se traduire par une hausse de la mortalité : la précarité tue.

Un débat est désormais ouvert pour savoir si les effets négatifs de la récession sur la santé peuvent être plus importants que la hausse de la morbidité et de la mortalité de la pandémie elle-même. » Les économistes Anne Case et Angus Deaton ont appelé cela « les morts de désespoir », une expression qui raconte la spirale infernale qui s’abat sur une population écrasée par la pauvreté : hausse des suicides, de la consommation d’alcool et de drogue, mauvaise alimentation, et, dans le cas américain, dépendance aux médicaments à base d’opioïde. Dans le Nord du Royaume-Uni, des médecins ont trouvé un autre surnom pour le même phénomène : « le syndrome d’une vie de merde ».

C’est une lutte contre un ennemi bien plus redoutable que le virus qui se profile pour beaucoup. Et c’est notre dépendance à l’égard d’une économie qui nous écrase pourtant en temps normal qui nous éclate à la gueule. Comment faire face à cette faim qui menace dans l’immédiat ? Et plus largement comment sortir de cette dépendance à l’égard d’une économie mortifère ? Notre monde en tout cas craque de toute part.