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« Darmanin violeur ! » Nouveau procès pour Valentin Après avoir fait appel de sa première condamnation, Valentin comparaissait une nouvelle fois devant les juges

« Sale violeur ! Darmanin violeur ! » c’est en ces termes que le 26 juillet 2020, Valentin invectivait Gérald Darmanin à Saint-Étienne-du-Rouvray en banlieue de Rouen. Ce jour-là, le fraichement nommé ministre de l’intérieur n’avait pas trouvé idée plus décente pour sa première sortie officielle en solo que de se présenter à la cérémonie d’hommage au père Hamel (assassiné dans son église en 2016). Après avoir été condamné en première instance pour « outrage à personne dépositaire de l’autorité publique », Valentin qui avait fait appel de cette décision était rejugé ce lundi au palais de justice Rouen.

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Dans la sévère salle d’audience aux murs pourpres et aux sombres boiseries, Valentin 27 ans, vêtu d’un jean et une chemise blanche, s’avance devant les juges. Ne souhaitant pas répondre aux questions de la cour, il s’en est tenu à lire une déclaration. Même s’il reconnaissait que ses propos avaient pu être maladroits, Valentin a cependant maintenu avoir été révolté par la nomination d’un homme sous le coup d’une enquête pour viol au ministère de l’intérieur.

Juste avant l’allocution du ministre, Monseigneur de Moulin-Beaufort, président de la conférence des évêques de France, s’était livré – devant l’assistance qui croyait être venue assister à un hommage – à une virulente diatribe contre la PMA et la GPA. Des propos totalement hors sujet qui auraient selon ses propres mots « poussé à bout » Valentin. Hors de lui, c’est ainsi qu’il en serait venu à se lever pour invectiver le ministre.

« Quand j’ai vu Gérald Darmanin arriver à la tribune, c’est sorti tout seul. »

Probablement peu au courant du nombre infime des affaires de viols à effectivement arriver devant les tribunaux, le juge Mulliez, qui préside la séance s’adresse posément à Valentin.

« Si quelqu’un sait qu’untel ou untel est un violeur, il n’a qu’à aller s’adresser aux enquêteurs de la police » se fendant au passage d’un « nous au moins, nous respections votre présomption d’innocence ».

Dans son réquisitoire, l’avocat général Patrice Lemonnier, rejoint le point de vue du juge.

« Il est intolérable que Pierre, Paul ou Jacques se fassent traiter de tout et de n’importe quoi »

déclare-t-il depuis son perchoir disant craindre « l’anarchie » qu’un tel état de fait impliquerait.

Concluant sa plaidoirie, l’homme réclame la confirmation de la condamnation de première instance à savoir 100 jours-amende à 15 euros (1500 euros au total), ou 100 jours de prison dans le cas d’un non-paiement.

Tranchant avec cette ambiance inquisitoire, c’est ensuite au tour de maître Chloé Chalot d’intervenir. Pour l’avocate de Valentin, les propos de son client ne relèvent pas de l’outrage mais de la diffamation ce qui justifierait une annulation de la première condamnation.

UNE ATTEINTE À LA LIBERTÉ D’EXPRESSION

Mis en cause par deux femmes pour viol pour l’une et abus de faiblesse pour l’autre, maître Chalot rappelle le tollé qu’avait provoqué la nomination de Gérald Darmanin à l’Intérieur à l’été 2020. Poursuivant, elle signale que la condamnation pour outrage de Valentin aurait constitué une entrave à sa liberté d’expression. Pour appuyer ses dires, l’avocate cite devant les juges deux arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) datant de 2006. L’un d’eux, avait notamment vu l’annulation de la condamnation pour diffamation d’un français qui avait publiquement accusé Jean Tiberi (maire de Paris de 1995 à 2001) de fraude électorale annulée au motif qu’en le condamnant de la sorte, l’État français avait bafoué sa liberté d’expression.

Devant la cour, maître Chalot cite un extrait de cet arrêt :

« La liberté d’expression vaut non seulement pour les « informations » ou « idées » accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. […] En outre, les limites de la critique admissible sont plus larges à l’égard d’un homme politique, visé en cette qualité, que d’un simple particulier : à la différence du second, le premier s’expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes tant par les journalistes que par la masse des citoyens ; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance »

Selon l’avocate, cette situation correspond exactement à celle de Valentin. Balayant les déclarations de l’avocat général pour qui la liberté l’expression doit rester dans les limites de la courtoisie, elle conclut sa plaidoirie par ces mots :

« Il y a certaines situations qui justifient que la liberté d’expression ne s’exprime pas avec douceur »

L’affaire a été mise en délibéré le 28 avril.

Dans un entretien réalisé fin février, maître Chalot nous confiait être prête avec l’accord de son à se pourvoir en cassation si la peine venait à être confirmée.

« Nous sommes déterminés à aller jusqu’au bout pour faire valoir que c’était de la liberté d’expression »



 

PETIT RAPPEL DES FAITS

Le 26 juillet 2020, Gérald Darmanin alors fraichement nommé ministre de l’Intérieur n’avait trouvé meilleure idée pour sa première sortie en solo que de se rendre à la cérémonie d’hommage au père Jacques Hamel, assassiné dans son église en 2016.

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Présent ce matin-là dans le public, Valentin se souvient :

« Les trois ou quatre premiers rangs étaient tous réservés. Il y avait énormément de policiers en civil, côté de l’estrade, il y avait 6 ou 7 baqueux en civil […] Des noms [de personnes indésirables] étaient indiqués sur des listes de RG […] Ce n’était pas une cérémonie publique »

Pour lui, Gérald Darmanin n’était pas venu pour rendre hommage au père Hamel mais bien pour une opération de communication politique. Sans avoir prémédité son acte, l’intervention précédant celle du ministre de l’Intérieur aurait violemment secoué Valentin :

« Le prêtre avait dit des saloperies justes avant Darmanin, c’est ça qui a commencé à me faire bouillonner »

Le « prêtre » en question n’était autre que Monseigneur de Moulin-Beaufort, le président de la conférence des évêques de France. Lors de son discours, l’ecclésiastique s’était en effet livré à une virulente diatribe totalement hors contexte contre la PMA et la GPA.

Personnage médiatique, cet apparatchik de l’église catholique, diplômé de science Po et de Paris Assas, avait de nouveau fait parler de lui en octobre dernier quand, en pleine polémique sur la pédocriminalité dans l’église catholique, il déclarait sur France Info « le secret de la confession est plus fort que les lois de la république ».

Le tollé soulevé par ces propos avait valu à l’homme d’Église d’être convoqué par son ministre de tutelle, un certain Gerald Darmanin [NDLR : en France, le ministre de l’intérieur est également ministre des cultes]. Pourtant, en décembre dernier c’était des mains de ce même Gerald Darmanin qu’il recevait la légion d’honneur lors d’une discrète cérémonie dans les locaux de la conférence des évêques de France à Paris.

« Darmanin violeur ! Sale violeur ! ». Sitôt Gérald Darmanin installé à son pupitre, Valentin se levait et lui criait ces mots. Autour de lui, quelques personnes brandissaient pancartes portant notamment le mot « Shame » (honte en anglais)

DES DÉTENTIONS ILLÉGALES ET DES INJURES SEXISTES

Immédiatement saisi par des policiers en civil, Valentin ainsi que 10 autres personnes dont certaines qui n’avaient même pas participé à l’action mais qui devaient probablement figurer sur quel qu’obscure fichier des renseignements avaient été emmenées toutes sirènes hurlantes au commissariat central de Rouen.

Dans le sinistre édifice, 7 des interpellés ont été retenu près de 4 heures sans que la moindre garde à vue leur soit notifiée : illégalement donc. Les 4 autres dont Valentin étaient elles, placées en garde à vue.

« Je pensais avoir un contrôle d’identité et passer 3 heures au poste. » déclarait Valentin.

Pourtant, de par sa nature médiatique et l’attaque portée à l’état, la portée de cet affaire dépassait largement celle de la commune infraction.

Au commissariat, c’est l’effervescence et plusieurs pontes de la police en civil ou hauts fonctionnaires se succèdent dans la cellule collective contempler les personnes qui ont osé tenir tête au « patron ». Tout juste revenue de Saint-Étienne-du-Rouvray, une gradée fait irruption encore vêtue de son uniforme de parade. Après quelques mots rapidement échangés avec les policiers de garde, celle-ci demande aux interpellés masculins qui la regardent incrédules de tourner la tête à gauche et de leur monter leur cou pour y déceler des marques de strangulation. Le visionnage des images filmées ce jour-là par les journalistes présents sur place montrera qu’électivement l’un des interpellés qui pourtant ne semblait pas montrer d’hostilité avait bien été saisi à la gorge par un agent de police.

Interrogé par Rouen dans la Rue, l’une des personnes interpellées nous raconte cette bien étrange séquestration.

« Un policier de la BAC (Brigade Anti Criminalité) nous surveillait. Une personne qui avait été interpelée avec nous lui parlait. Je ne sais plus trop ce qu’elle lui a dit mais je crois qu’elle essayait de lui expliquer de M. Darmanin était un violeur. J’étais halluciné par la réponse du flic. Il reprochait à la fille de ne pas respecter la présomption d’innocence de Darmanin mais c’était pas le pire. Ensuite, il a commencé à dire que ça arrivait souvent que des femmes accusent injustement des hommes de viol et qu’elles faisaient ça pour l’argent. Ça n’a pas été la seule chose qu’il a dite mais ça a été un festival d’horreurs de ce genre pendant tout le moment qu’on a passé au poste. Et après ça, ils veulent qu’on les respecte ».

Comme le relatait déjà le journal Streetpress au moment du premier procès de Valentin, les policiers semblaient avoir mis un point d’honneur à pousser l’abjection au plus haut niveau dans leur manière de considérer les femmes lançant des propos tel que n’auraient probablement pas déplu outre mesure à leur ministre de tutelle.

« Elle est craquante celle-là. Tu ne pourrais pas lui faire une fouille au corps ? »

Ou demandant à une autre personne qui portait une jupe, si elle portait une culotte dessous.

Condamné en première instance à 100 jours-amende à 15€ (1500€ au total). Valentin avait fait appel de cette décision et a été rejugé le lundi 14 mars dernier. Confiante, son avocate Chloé Chalot nous confiait être prête avec l’accord de son client à se pourvoir en cassation si la peine venait à être confirmée.

Interrogé à propos de son geste, Valentin résume l’affaire par ce simple constat.

« Les puissants, ils s’en sortent toujours et toi on te remet à ta place dès que tu ouvres ta gueule »